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 274                  PIERRE ET JEANNETTE
     Elle avait le projet de faire promptement une bonne
  pelote (suivant son expression) en gagnant, à la ville, sur
  toutes les denrées, et en se procurant, à la campagne, de
  nombreux cadeaux, par une distribution habile de débris de
  nos repas, de diverses friandises enlevées à notre table, de
  mille objets enfin qui flattaient l'économie et le palais des
  paysans, jetant ainsi peu à peu et de toutes les manières la
  corruption chez ces braves gens.
     Son œil bleu très-doux, sa figure avenante et agréable,
  jolie même, ses paroles amicales et insinuantes, avaient
  gagné la population du hameau, comme nous, d'ailleurs,
  Madame Richemont et moi.
     Voici ce qu'elle répondit à la mère André :
     « Vous me demandez des choses que je ne devrais pas
  vous dire, car il s'agit de mon maître, et je ne voudrais pas
  parler contre lui. Cependant, avec vous, Catherine, qui
  êtes si respectable et pour qui j'ai une amitié particulière,
 il faut que je vous dévoile toute la vérité. Monsieur a beau-
 coup de bon, mai§ il a aussi des défauts graves, je suis for-
 cée de l'avouer. On prétend qu'il trompe les paysans ; votre
 voisin Thomas, qui voit clair, comme vous savez, me l'a
 dit; je n'en sais rien; mais ce que je sais bien, c'est qu'il
 peut tromper les paysannes. Eh bien ! apprenez donc que
 les plus jolies villageoises de l'endroit ont été compro-
 mises ou ont manqué d'être compromises par lui. Ces beaux
messieurs de la ville se croient tout permis. Défiez-vous
donc de lui, ma chère, et prenez garde à votre fille. — Ne
voyez-vous pas qu'il aurait bien pu avancer, s'il avait voulu,
l'argent pour racheter Pierre? Mais il était bien aise de l'éloi-
gner pour lui enlever votre fille. Je ne sais pas quel rôle
Pierre joue là-dedans... Tenez, tout ce monde-là c'est de
la clique, de la mauvaise graine, je vous le dis en confi-
dence, mais gardez-vous de le répéter. »