Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                         DE L'HOMME.                     281
 sont exquises, elles ont un charme de nouveauté que la
 répétion leur ôte : le premier aveu, le premier serrement
 de main, le premier baiser, la première lettre, la première
 volupté, le premier froissement même et le premier raccom-
 modement, ont je ne sais quel parfum que la reproduction
 des mêmes objets n'a plus — les douceurs de l'aube n'ap-
 partiennent qu'à l'aube-, et, dans le domaine moral, la vie
 a peu d'aubes.
   L'homme, à vingt ans, essaie de vivre; de trente à qua-
rante, il vit pleinement, mais souvent bien tristement; de
quarante-cinq à soixante, il ne vit que partiellement, après
 soixante ans, son intelligence vit, le reste paraît vivre;
 après soixante-dix ans, tout commencé à mourir, et dès
lors, chaque jour construit sa mort que le dernier jour
achève. — Que de gens, en effet, qu'on n'a pas encore le
droit d'enterrer, et qui sont bien morts !
   Vivre, c'est marcher vers la mort; commencer de vivre,
c'est commencera mourir. Le temps est un faucheur régu-
lier, mais infatigable-, il n'arrête ni jour ni nuit : toute
heure lui est également bonne; tout instant, toute portion
d'instant, le sert de même. Entendre le mouvement d'une
montre, d'une pendule, le roulement d'un tambour, le bruit
des pas d'un passant; s'entendre parler, écrire, respirer,
c'est, si je peux le dire, s'entendre faucher.
   D'après les médecins, le maintien de la vie serait l'uni-
que fin de l'homme. D'après la morale etjla vérité, l'homme,
qui meurt tous les jours, a pour fin la mort. — La mort ost
le dernier et le plus terrible sacrement de l'homme.

                             V

  Un ancien disait admirablement de l'homme qui veut se
diviniser : « Son orgueil est insupportable aux dieux aux-
quels il s'égale et aux hommes dont il se sépare. — Cela est
plus vrai de notre temps que des temps antiques, par ce
qu'aujourd'hui le nombre des petits esprits et des