Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
280                       DE   L'HOMME.



                               IV.

   Notre siècle s'est dit, comme au temps de saint Au-
gustin (1), quand les barbares allaient couvrir la terre :
L'homme, est le bien de l'homme; l'homme, est la fin de
l'homme; l'homme, est le Dieu de l'homme.
   Mais l'homme — comme nous le connaissons — est un
être actif qui a nécessairement son but, son théâtre, et je
dis : le monde, c'est le théâtre de l'homme; la société, l'une
de ses nécessités; l'accomplissement de ses devoirs sociaux,
l'une de ses fins terrestres; l'estime de soi — presque
toujours des autres — le prix terrestre et provisoire de ses
mérites; Dieu est sa fin surnaturelle et sa récompense
immortelle.
   Il faut à l'homme de l'activité, pour sentir sa vie : chez
les uns, c'est l'activité intellectuelle qui prévaut; chez
 d'autres, l'activité physique ou morale. Le sommeil est le
 repos et la restauration de ces diverses activités; l'ennui
 en est la souffrance, l'atonie, l'impuissance. C'est parce
 que l'homme veille, sans vivre et sans exercer ses fonc-
tions, particulièrement vitales, qu'il s'ennuie; c'est en ce
 sens que l'ennui est un châtiment, et le pire. On se tue
moins parce qu'on souffre, que parce qu'on ne peut sup-
 porter l'ennui de végéter sans vivre. Les travaux forcés
 sont les plus agréables des travaux, me disait spirituelle-
 ment quelqu'un (2) : c'est que ce sont les travaux qui nous
 font le plus vivre, du moins ceux qui combattent le mieux
 notre plus mortel ennemi, l'ennui.
  La vie est bien brève pour ceux même qui en usent le
mieux, et combien courte est la fleur de la vie, dans la vie
même! — en amour, les premières fois de toutes choses

   (1) V. Son traité du lib. arbit. 3-24.
   (2) Un aumônier des prisons qui connaissait très-profondément et
très-ingénieusement l'esprit des prisonniers.