page suivante »
	 					
		
						
		
		 
		
	 
	                           PROMENADE.                        347
  sentencieux, à la bouche lardée d'axiomes, au regard protec-
  teur, au superbe dédain pour tout ce qui n'est pas admis et
 contrôlé par lui. N'obtient pas ce titre qui veut. Il faut, pour
 le conquérir, des mystères de sottise et de morgue. Tel mé-
 decin est un âne bâlé, tel avocat une bulle de savon, tel
 magistrat une éclatante nullité, tel gros marchand un Arabe
 dans la peau de M. Josse; mais ils ont dans l'air et dans
 l'allure ce je ne sais quoi qui pose un homme aux yeux de
 la foule; ce sont des hommes sérieux. Leur fortune est as-
 surée, ils ont en poche le Sésame, ouvre-toi !
    Dans le domaine des lettres, il y a aussi Y auteur sérieux.
 La première et indispensable condition pour mériter ce nom,
 c'est de n'avoir ni imagination, ni sel, ni invention, ni fonds
 personnel dans les idées. Maint compilateur fastidieux s'est
 évertué toute sa vie à entasser des lieux-communs histo-
 riques et littéraires, jamais aucune conception personnelle n'a
 traversé son cerveau ; mais, par bonheur, il a le mystérieux
 et indéfinissable je ne sais quoi; il est proclamé auteur sé-
rieux. On ne le lit pas, mais on l'admire sur parole, et les
 Académies se le disputent.
    Au dix-septième siècle, Chapelain et Pradon étaient, j'en
suis sûr, des auteurs sérieux ; je ne parierais pas que Lafon-
 taine et Molière aient joui de cette qualification avant la re-
vanche que leur a donnée Boileau. Shakspeare et Cervantes
ont-ils été des auteurs sérieux pour leurs contemporains ? je
n'en mettrais certes pas ma main au feu. De nos jours, quand
M. Vienne! était considéré comme un auteur sérieux, Alfred
de Musset ne l'était pas assurément, et je ne voudrais sur ce
point d'autre témoignage que celui de M. de Lamartine le
jugeant sans l'avoir lu.
    Pour finir, une dernière primevère. C'est un trait d'avarice
qui eût fait pâlir Harpagon de jalousie, et ravi le père Gran-
det au troisième ciel.
					
		