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252 LES DONS D'AUTEURS. de magasins de lecture paralysant la vente de nos livres sans les avoir achetés eux-mêmes. :— Voilà donc des parents ridiculisant les produits de nos veilles, et des amis qui nuisent à leur écoulement, pour unique récompense de l'offrande que nous leur avons faite. Voyons, en troisième lieu, si ceux qui doivent et peuvent le mieux les apprécier seront plus reconnaissants de l'hommage que nous leur en faisons, et s'ils nous éclai- reront franchement par les avis d'une critique conscien- cieuse? Hélas! en leur faisant le don gratuit de nos ou- vrages, nous nous ôtons la seule chance de les voir jugés par des critiques compétents avec une entière impartialité : ils répondront à notre politesse par des flatteries. Le droit de siffler au théâtre , Est un droit qu'à la porte on achète en entrant. Or, comme ils n'ont rien payé en numéraire, ils voudront au moins nous dédommager par leur indulgence ; car nos concitoyens nous savent gré de la plus légère économie qu'on leur permet défaire, et ils nous prodigueront,pour ce motif, bien des éloges qu'ils nous auraient refusés en qualité d'hommes de goût, s'ils n'eussent été intéressés à nous les donner. — Que de proverbes sont là pour motiver mon opi- nion à cet égard! et pour me contenter du plus énergique, je dirai avec la sagesse des"nations : à cheval donné on ne regarde pas la dent. — Donc, en offrant nos livres aux seuls bons juges qu'ils pourraient avoir, nous altérons l'indépendance de ceux-ci pour décider de notre mérite; nous entretenons la parcimonie des ladres et nous nous en- levons la seule classe d'acheteurs payant de nos pro- ductions, comme aussi les plus aptes à les apprécier. — Puis, à Genève, les choses ont pour première valeur l'argent qu'elles ont coûté ; on les conserve en raison même des espèces déboursées pour en faire l'emplette : les meilleures pensées que peut contenir un ouvrage imprimé le recommandent moins que son prix d'achat. Et alors, quels égards pourront réclamer pour leur conservation des