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HYMNE A LA NUIT. 261 C'est là qu'il aperçoit, vainqueur de la matière, Se lever les splendeurs du soleil idéal ; Là que le pur amour éblouit sa paupière Et qu'il sent palpiter son rêve virginal. Pauvre amante inconnue, ô Béatrix, ô Laure, Desdemona, Juliette, ô mon songe incarné, C'est là que je vous vois, là que je vous adore, Dans l'ombre et le silence à vos pieds prosterné !... Mais ma lampe pâlit et l'orient s'allume. Déjà j'entends hennir les chevaux du Soleil, Le marteau matinal résonne sur l'enclume j O Nuit sacrée, adieu ! c'est l'heure du réveil. Comme un essaim craintif, ô mes blanches pensées, Colombes de mon cœur, rentrez dans votre nid. Sous les flèches du jour vous tomberiez blessées, Et nul ne vous plaindrait, car l'homme est de granit. Le jour, c'est l'action; et la nuit, c'est le rêve. A la muse, à l'amour, rêveur, dis donc adieu ; Laboureur, cours aux champs, etsoldat, ceinston glaive; Qui que tu sois, agis : c'est une loi de Dieu. Poète, souffre aussi ; que ta sueur ruisselle Sur le sillon ouvert où les blés jauniront ; Prends ta part de travail dans l'œuvre universelle, Et qu'on ne lise pas tes douleurs sur ton front.