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132                UNE PROMENADE EN SUISSE

 rien imaginé de plus imposant; en un mot, pour la première
 fois néanmoins, la Grande Chartreuse est vaincue ! que vous
 dirai-je et quels pinceaux pourraient faire revivre de tels
 spectacles ! clouée aux flancs de la montagne, la route ser-
 pente aux bords d'un précipice au fond duquel la Reuss mu-
 git et bouillonne en écumant, bondissant et roulant, fleuve de
 neige, à travers les troncs brisés et les rochers amoncelés dans
 son lit. De çà et de là, au loin, pardessus nos têtes, s'étend
 immense et sans limites, une forêt de sapins gigantesques;
 tantôt ils entourent une vaste prairie descendant à pic sur la-
 quelle, autour d'un misérable chalet, paissent quelques vaches
 soutenues comme par enchantement ; ici, le regard se fatigue
 en vain à sonder la profondeur de leurs masses épaisses, et
 peut à peine distinguer sous leur sombre verdure mille cas-
 catelles courant en longs rubans d'argent; tandis que, par de là
leurs cimes dentelées,flamboientaux feux du soleil les pics des
glaciers lointains. Mais, tout à coup, et sans préparation, nous
 tombons au milieu des contrées les plus tristes et les plus déso-
lées. Les montagnes resserrées semblent abriter une nuit éter-
nelle; sur leursflancsnoirs, nulle trace de végétation, et quel-
quesflaquesde neige brillent çà et là comme des larmes sur un
drap morluaire; à peine la route peul-elle glisser, entre la
rivière et les rochers, à travers les obstacles semés sous ses pas;
ponts, rampes, arceaux, tunnels, tout annonce quels combats
l'homme a dû livrer pour dompter cette implacable naUire.
Un moment, nous pouvons croire qu'il a été vaincu, et il ne
nous semble plus possible de surmonter la dernière barrière
dressée devant nous;car, d'un côté, s'élève un rocher à pic
et de l'autre, entre le plateau sur lequel nous devons passer et
nous, la Reuss,rapide comme la foudre, s'avance et tombe avec
un bruit épouvantable, mugit, hurle, bouillonne, s'emporte
en tourbillons fumants, se replie et rebondit sur elle-même,
s'abîme dans un gouffre béant d'où elle retombe dans un pré-