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124 UNE PROMENADE EN SUISSE à flots sur 200 convives facilement assis et majestueusement attablés. Au moment où nous quittions la barque sur laquelle nous avions passé trois mortelles heures, le canon éclatait dans les airs ; comme nous n'avions pas prévenu les autorités de notre venue prochaine, nous dûmes croire, malgré toute notre im- portance, qu'on ne le tirait point pour nous. D'ailleurs, les hôtels regorgeaient de voyageurs, la ville s'animait d'un mou- vement inaccoutumé, les rues s'encombraient de voitures ap- portant une foule d'étrangers tout affairés, et de curieux attirés par le spectacle de leur bruyante animation. Le tu- multe se prolongea toute la nuit, au grand détriment de notre sommeil, et quand le lendemain, mal édifiés par dix versions contradictoires, nous allions chercher enfin la cause de ce mouvement extraordinaire, nous eûmes, sans quitter l'hôtel, la clef de celte énigme tumultueuse. Une immense colonne d'hommes marchant quatre à quatre et faisant, flotter, non au soleil (et pour bonne raison) mais au vent, les cent couleurs de leurs bannières, s'avançait au son d'une musique assez médiocre, précédée et suivie d'un peloton de carabiniers semblables pour Je costume, la tour- nure militaire, l'air martial et les grâces guerrières, aux vail- lantes sentinelles qui veillent, non aux barrières du Louvre, mais à celles de Vaise et de Serin : puis enfin, venait une forte escouade de moutards en tuniques bleues, le sabre au côté, portant le fusil comme les bedeaux portent leur verge ; c'étaient là Messieurs les élèves du Lycée, guerriers en herbe, savants en espérance, cultivant d'un même amour les Muses et la charge à douze temps. Après avoir déroulé sur la place môme du Schweidzer-Hoff ses anneaux bariolés, la procession fait halte et se déploie en carré : tout à coup un hourra, au loin répété par les échos, salue un immense drapeau rouge à la croix blanche flottant au balcon môme de noire hôtel :