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                     CHARLES BAUDELAIRE                     427

  « quoique vitrée, où grouillaient dans l'alcool, sous de for-
 « midables étiquettes, les batraciens invraisemblables, les
 « lézards géants et les vipères de choix. » — Tels étaient
 les lieux que hantait Baudelaire; telles étaient ses relations.
 Avec de pareils amis, on ne saurait s'étonner du goût pour
 les étrangetés et les bizarreries auquel dès lors il semble
 s'être volontairement abandonné.
    Il ne faut voir peut-être en tout cela que de l'enfantil-
lage. Bien plus grave fut le goût du haschich auquel il
 s'adonna bientôt. Par la même recherche sans doute des
curiosités malsaines, il fit partie du fameux club des Has-
 chichins, fondé par le peintre Fernand Boissard, qui em-
 ployait bien mal sa fortune, et qui, cruelle punition, en est
mort ramolli, hébété, gâteux. Là, dans un salon magnifique,
orné de riches peintures et de précieux bibelots, se réunis-
saient les amis du propriétaire, artistes, littérateurs, femmes
galantes. On plongeait à tour de rôle la cuillère d'or dans la
noire confiture, et s'étendant sur de moelleux tapis, sur des
sophas aux riches coussins, on savourait le poison dans les
rêves voluptueux qui en sont le premier effet. Théophile
Gautier et Baudelaire ont décrit chacun de son côté l'ivresse
où cette drogue fatale plonge l'âme et les sens. C'est dans ce
salon qu'ils se sont connus et qu'ils se sont liés de cette ami-
tié, protectrice d'un côté, admiratrice de l'autre, dont ils
se sont donnés réciproquement des preuves nombreuses.
Baudelaire très probablement est mort du haschich, comme
Fernand Boissard; Théophile Gautier a survécu. Il est à pré-
sumer qu'il avait moins cédé aux charmes de cette Circéqui
 change en bêtes ses adorateurs. Du reste, il y a des tempé-
raments vigoureux que les imprudences et même les excès
n'entament pas, comme des esprits qui peuvent s'aventurer
quelque temps dans le bizarre et l'absurde sans y perdre