Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                    CHARLES BAUDELAIRE                     429

qui en réalité ne répondait qu'à une partie du volume;
mais si imprévue, si étrange, si paradoxal, qu'il suffisait à
éveiller l'attention des plus indifférents. C'était comme un
coup de canon, et le retentissement fut considérable. Un
procès en police correctionnelle, maladroitement engagé et
plus maladroitement soutenu fit encore plus de bruit. Cité
en justice pour outrage à la morale publique et habilement
défendu par Chaix d'Estange le fils, que soutenait l'opinion
presque unanime de la presse, Baudelaire fut condamné
sans l'être; car indemne de sa personne il lui était enjoint
seulement de supprimer de son recueil six pièces plus par-
ticulièrement incriminées. Il était évident qu'elles allaient
être une proie pour la curiosité malsaine. Aussi furent-elles
immédiatement réimprimées en Belgique. La poursuite et
la condamnation tournaient à la renommée et au profit du
poëte. « Je n'aurais jamais espéré, écrivait-il, une pareille
réclame. »
   Inutile d'entrer dans les débats que souleva ce procès ;
laissons aussi de côté les jugements si divers, et en général,
excessifs dans un sens et dans l'autre que la critique a
portés sur l'œuvre de Baudelaire. Mieux vaut nous en tenir
à notre rôle d'ami d'enfance, qui souffrait et déplorait sou-
vent, mais sans rien excuser de ce qui n'était pas excusable,
n'avait pas le cœur à s'indigner. Une note juste, selon
nous, a été donnée par Sainte-Beuve qui refusa de faire un
article sur les Fleurs du mal, mais dans une lettre amicale
 adressée au poète, lui prodigua des conseils aussi judicieux
 qu'affectueux. A travers les éloges qui servent de passe-port
 aux critiques, il lui reproche son affectation à ne pas sentir
 comme les autres hommes, « à se faire corrompu à dessein
 et par recherche d'an. »
   « Corrompu à dessein » ; c'est là un mot à retenir.