Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                    CHARLES BAUDELAIRE                      425

paraissait avoir beaucoup de talent. Il lut cette lettre à haute
voix, ne se doutant pas que le poète obscur fût connu dans
cette aristocratique demeure. Ace nom il vit l'ambassadeur
pâlir, et l'ambassadrice faire effort pour dominer son émo-
tion. Tout le monde garda le silence, un silence embar-
rassé. Un moment après, le colonel Magardel, aide-de-
camp du général, prenant à part le malencontreux lecteur,
le mit au courant de ces tristes relations de famille, et de
la haine profonde du beau-père pour un enfant rebelle dont
il ne voulait plus entendre parler.
   Baudelaire était donc réduit à ses propres ressources. Il
écrivit pour diverses revues des articles d'art et de critique,
notamment des comptes rendus du salon de peinture en
1845 et 1846; puis deux essais romanesques, hFanfarlo et
le Jeune enchanteur, qui eurent grand'peine à obtenir les
honneurs d'une publicité mal payée. Rien de tout cela
n'était de nature à diminuer ses embarras d'argent. Il fit
l'expérience des difficultés, des déceptions, des déboires
qui encombrent habituellement les avenues de la vie litté-
raires. Il connut les usuriers et le papier timbré, comme son
patron Théophile Gauthier, qui pour échapper aux créan-
ciers (il l'a raconté lui-même), tantôt se calfeutrait chez lui
n'osant sortir de peur de les rencontrer, tantôt fuyait à
tous les coins du monde pour dépister leur poursuite.
  Dans l'espoir de suppléer à l'insuffisance de la littérature,
Baudelaire demandait à d'autres industries les moyens de
combler le déficit de son budget. Quand je pénétrai dans
son appartement de l'île Saint Louis, je fus surpris d'y voir
un grand nombre de vieilles toiles plus ou moins détério-
rées. Il m'expliqua qu'il s'était mis à faire le commerce des
tableaux. Je le savais bon dessinateur, et doué pour bien
des choses; mais à part moi, je m'effrayai des suites trop
probables d'un pareil trafic pour un rêveur comme lui.