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% 428 CHARLES BAUDELAIRE pied. Ni au physique ni au moral Baudelaire n'était de cette trempe. Nature féminine, partant délicate et frêle (c'était bien le fils de sa mère), il était moins armé pour résister aux tentations de tout genre, et moins fait pour en- suppor- ter les désastreuses conséquences. Un effet de cet empoisonnement fut, dans cet esprit autrefois si aimable, une prédilection désordonnée pour l'horrible. Il s'éprit d'admiration pour Edgard Poe, roman- cier américain qui, dans les intervalles de lucidité que lui laissait l'ivrognerie (car il est mort à trente-sept ans des suites de son intempérance), s'est amusé à s'effrayer lui- même avant d'effrayer ses lecteurs par des récits du fantas- tique le plus sinistre : Histoires extraordinaires, Aventures d'Arthur Gordon, Eurêka, assassinats, morts tragiques, exé- cutions capitales, hallucinations infernales, véritable musée des horreurs au prix duquel celui de Madame Tussaud n'offre aux Anglais spleentiques qu'une idylle printanière'. Baude- laire se passionna pour cette étrange romancier qui lui fai- sait savourer les émotions de la terreur. Il prit plaisir à le traduire, et une partie de cette traduction qu'il compléta plus tard commença à le faire connaître en dehors du cercle étroit où sa notoriété avait été jusqu'alors confinée. A dater de ce jour seulement le grand public sut qu'il exis- tait. Mais bientôt un coup d'éclat mit son nom dans toutes les bouches. La traduction des Histoires extraordinaires d'Edgard Poe avait paru en 18j6 ; l'année suivante Baude- laire publia, réunies pour la première fois, des poésies dont plusieurs étaient composées depuis longtemps, dont quel- ques-unes avaient été publiées isolément dans les Revues ouvertes aux jeunes poètes, et même dans la Revue des Deux Mondes en 1855. Il leur donna, un titre, les Fleurs du Mal,