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Ã38                        EN OIS ANS

  Malgré la petite fort raide du glacier (près de 45°),nous
n'avons pas de marches à tailler : il y a une bonne couche
de neige dans laquelle nous entrons à mi-jambe, et en trois
quarts d'heure, sans arrêt, nous touchons la base du Grand
Pic.
   En suivant la rimaye, mon frère, qui guignait la « renon-
cule glaciaire » ( ï ) , a fini par en apercevoir une presque
imperceptible sur le rocher nu ; il la cueille avec avidité :
la découverte d'un trésor ne lui eût pas fait plus de plaisir.
Quelques pas plus loin nous trouvons l'androsace bleue.
   « Allons mes enfants, dit Gaspard, un dernier assaut ! »
Par la brèche du Glacier Carré le vent déferle terriblement,
hurlant des notes vibrantes comme des sons d'orgues loin-
taines. Impossible de rester debout nulle part, sans se
cramponner des deux mains, et quoique cette escalade
finale soit plus facile que la précédente, nous avons beau-
 coup de peine à gagner le Chapeau de Capucin. Nous
grimpons, nous grimpons avec enthousiasme, déjà ivres de
notre victoire prochaine, nous brisons parfois le verglas
d'un coup de piolet et précipitons des pierres sur le glacier.
- Le chapeau de Roderon sur. lequel le vent s'acharne, subit
d'étonnantes péripéties. Deux fois, il s'envole avec une légè-
reté qu'on ne pouvait soupçonner à un pareil monument;
mais, par bonheur, il va toujours s'aplatir dans une fente
de rochers d'où on l'extrait difficilement. Enfin, son pro-
priétaire se décide à le ligbtter fortement et... c'est un
vrai travail.


  (1) La R. Glacialis, renoncule des Glaciers, est la plante qu'on a
rencontrée dans les Alpes aux plus hautes altitudes, près des sommets
du Schreckhorn (4,080 mètres), et du Finsteraarhorn (4,275 mètres).
Je l'ai trouvée l'année dernière presque au sommet de Cervin.