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22                DE LA POÉSIE ET DU STYLE

 se joue des traditions et des formes consacrées, où chaque
 opinion semble ne relever que de la seule conscience de
 celui qui la professe, est-il remarquable par la variété des
 styles, par leur caractère énergique et personnel, par leur
 originalité et leur hardiesse?
    Le XVIIIe siècle qui se vante de ne procéder que de la
 raison, qui substitue aux superstitions, aux préjugés, aux
 coutumes, aux croyances locales, des principes abstraits et
 des idées générales, qui tend a effacer toute distinction de
 race au profit d'un certain idéal de l'humanité , a-t-il possédé
 ces qualités du style qui dérivent d'une raison élevée, de
 cette notion absolue du beau, supérieure aux accidents du
 goût et aux variations de la mode?
    Voilà un double mérite qu'il semblerait tout naturel d'attri-
buer à l'avance à une époque qui se vante à la fois de sa liberté
 d'esprit et de son respect pour la seule raison. Or, si nous
considérons la littérature du XVIIIe siècle dans son ensemble,
de 1715 a 1815, réservant les exceptions, moins nombreuses
dans ce siècle que dans tout autre, tenant le compte que
nous devons tenir d'écrivains tels que Voltaire, J.-J. Rousseau,
Montesquieu , Buffon, nous pouvons affirmer que de tous
les siècles littéraires de la France, y compris le nôtre, le
XVIIIe siècle est celui où le style a été le plus rare.
    Voyez au XVIIe, voyez au XVIe siècle : que de physio-
nomies différentes et profondément caractérisées dans le
style. Montaigne, Rabelais, Amyot, Marot, Ronsard, Montluc,
tous les auteurs de Mémoires ont si bien marqué leur indi-
vidualité dans leur manière d'écrire qu'il est impossible de
ne pas les reconnaître à la première phrase. Dans ce temps
de discipline, d'autorité, d'unité qui porte le nom de Louis XIV,
où le respect des modèles et des principes fixes règne dans
les esprits, combien nous trouvons de richesse et de per-
sonnalité dans le style ! Les grandes lois de l'art n'ont jamais