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LA DAME D'URFÉ. 245 En ce moment un petit gémissement se fit entendre, le sol- dat pâlit. — Ce n'est pas un cri de louveteau, mon maître, ouvre ton sac. La voix du châtelain devenait irritée, le soldat ouvrit le sac, et le cavalier, penché sur l'ouverture, vit de petits pieds et de pe- tits bras entrelacés, des petits corps blancs qui remuaient ; l'im- pression du froid leur fit pousser un douloureux vagissement — Ce sont des enfants , s'écria le cavalier, où les as-tu pris, malheureux, au nom du ciel ? — Ce sont vos enfants, Messire, que la noble dame d'Urfé m'a dit d'emporter loin d'elle , balbutia le soldat ; et voyant dans les yeux d'Isambert plus d'intérêt que de colère : et je les portais à une ferme éloignée, ajouta-t-il, pour qu'on en prît soiu et qu'on les élevât, car il eût été dommage de les faire périr ; ils sont si beaux ! — Tuer mes enfants? non certes! si nous ne pouvons donner à chacun d'eux un château et des domaines , nous leur donnerons une épée ; le monde est grand et Dieu veillera sur eux. Isambert avait bien deviné la crainte de son épouse ; mais il n'avait pas voulu laisser entrevoir ce secret à son soldat ; il fré- missait du courage de la châtelaine, mais il ne doutait pas de sa vertu. — Viens avec moi, j'achèterai ton silence. Pour que la dame d'Urfé ne puisse pas t'interroger, tu te mettras au service de quelque seigneur éloigné, mais que ta langue soit muette. Tiens ton sac avec précaution, et marche devant moi. Le sire d'Urfé revint sur ses pas et, prenant à droite , il se di- rigea vers un petit village dont les cheminées fumaient non loin des bords de la Loire. A l'entrée du village, une maison forte s'élevait, contrastant, par l'épaisseur de ses murailles, avec les pauvres cabanes qui l'entouraient. Quand ils furent devant la porte, le chevalier des- cendit de cheval, et prenant le sac des mains du soldat, il lui tendit sa bourse. — Prends, lui dit-il, je ne sais si je devrais te récompenser