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484 plus digne d'un public intelligent, c'est celle qui se développe et grandit au cœur de l'homme : les passions, leurs espérances, leurs abattements, leurs ambitions, leurs combats, tel est le spectacle qui lui convient, et qui le doit intéresser avant tous les autres. Notre tragédie nous l'offre sans subtilités, sans recherches, avec simplicité et vigueur. Aussi pour nous, si faible qu'on la trouve, Faction nous a semblé toujours pleine, et l'intérêt ne languit jamais. L'amour de la patrie antique, la haine d'une domination illégi- time, le respect des aïeux, qui bouillonnent dans le cœur de Brute sous le masque impassible d'une sottise empruntée, son ambition, ses rêves, ses glorieux projets, ses trames cachées à l'ombre de sa folio ; le brutal désir, implacable, irréfléchi, qui pousse Sextus à sa perte , à travers les plans d'une rouerie fourvoyée ; le flot du repentir qui monte tumultueusement dans le cœur de Tullie jus- qu'à la hauteur du désespoir et du suicide ; et, pour le contraste, cette noble et chaste figure de Lucrèce, cette grandeur immobile, cette ligne droite de l'inflexible justice, à laquelle, après divers dé- tours, les autres lignes aboutissent par la vertu ou par l'expiation ; tout cela est d'une moralité forte, d'un intérêt puissant, tout cela saisit, émeut, et prend le spectateur par ses plus nobles ins- tincts ; et nous acceptons bien volontiers, quant à nous, cette œuvre comme l'expression la plus haute de l'art dramatique de notre temps. Le style de Lucrèce, si admiré et si digne de l'être, est bien loin comme tout le reste de se renfermer dans les règles étroites de l'école dont on a voulu faire de M. Ponsard un régénérateur. La forme abstraite du raisonnement, les vives couleurs de la poésie, les accents du lyrisme le plus élevé, l'expression netle et éner- gique, tout s'y trouve harmonieusement réparti et font de ce style un intéressant objet d'étude. D'ailleurs, nous avons de notre auteur une poétique déjà ancienne ; écoutons-le sans plus tarder et laissons-le développer en beaux vers ses idées sur la poésie et sur la forme qui lui convient : — il les dira mieux que nous, et on jugera. La pensée est pour moi comme une jeune fille :