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481 aux règles de l'école, on ne pourrait méconnaître en lui une créa- tion empruntée tout entière aux principes de l'art dramatique mo- derne. Le rôle de Brute, ce rôle si achevé selon nous, obtiendrait-il faci- lement grâce devant la Melpoméno classique? nous en doutons. Elle accueille les poétiques égarements du délire, les fureurs d'Oreste et jusqu'à la folie d'Hamlet corrigée par M. Ducis, mais ces humilia- tions reçues d'un front courbé, ce cœur endurci aux injures, cet avi- lissement de bouffon patient et infatigable, les souffrirait-elle dans son héros ? n'aurait-elle pas quelque indignation A voir un Junius dans cet abaissement ? Le jour où Brute s'est appelé Triboulot, a-t-on donc trouvé que ce fût un personnage tragique et bien conforme aux règles ? Lucrèce elle-même, qui meurt sans lâche, victime de l'inexcusa- ble sévérité des dieux, viole encore les règles les plus fondamentales. Sans passion et sans faiblesse, elle déplace l'émotion, elle accuse la providence ; et cela est si vrai que M. Arnault, en traitant le même sujet, s'était imaginé, oh! misère! de feindre Lucrèce amoureuse de Sextus. « Sans l'amour de Lucrèce pour Sextus, dit on, pour le défen- dre dans l'Avertissement, ni lui, ni elle ne pouvaient être mis au théâ. tre ; en atténuant le crime du fils de Tarquin, cet amour le rend ex- cusable comme il rend Lucrèce intéressante, en lui prêtant une faiblesse et conséqueniment des combats. Sans cet amour, ni Sextus ni Lucrèce ne seraient des personnages dramatiques J.-J. Rousseau en avait jugé comme M. Arnauld. » Au point de vue classique, tout cela était parfaitement raisonné. Pour la tragédie, il reste donc si l'on veut le rôle unique de Tullie : nous parlons du caractère et non pas du langage. Nous avons parlé d'une autre ambition de l'art moderne, celle de peindre rigoureusement les mœurs, les usages, le temps enfin au milieu desquels l'action est placée. Qu'on se rappelle les LIoraccs, qui appartiennent à la même époque ; si l'on excepte ce sentiment général de grandeur et d'héroïsme attribué au monde romain ou plutôt au monde antique, et que d'ailleurs Corneille seul avait aussi ;-;i