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voir les minarets de Stamboul; Stamboul, orpheline chré-
tienne, qui frémit de honte et de colère en sentant sur sa
gorge la main du Musulman eunuque ; suivre pas à pas le
chemin d'Alexandre , le précurseur du Christ ; prier au jar-
din des Olives; s'enivrer une fois avec le Cophte abruti,
ce peuple si vieux, que la pensée se lasse à nombrer les siè-
cles de sa vie; infatigable voyageur, aller, aller toujours,
chez les peuples savants, chez les peuples sauvages, dans
les huttes et dans les palais, et, lorsque la terre manque sous
les pas , affronter l'Océan, avoir ses périls , son naufrage et
son île déserte, et revenir enfin plein de science et d'avenir,
conter en son pays ses longues et belles aventures , sans
mensonge , sans exagération ; instruire les vieillards, rendre
les femmes haletantes d'attention et de peur!         Quelles joies!
et quel rêve !
    Ce rêve, il fut vôtre , il fut mien , il est à toutes les jeunes
imaginations. A seize, à vingt ans, on palpite de curiosité,
 on pâlit d'envie en lisant les voyages lointains ; ils éblouis-
 sent, étourdissent la tête. On se fait le compagnon des célè-
bres aventuriers ; on tremble, on rit, on souffre , on jouit
avec eux ; on s'abandonne aux fantastiques projets. Dans
quelque mer inconnue, on découvre de nouvelles terres, on
est esclave, ministre, législateur, conquérant, grand prêtre,
Dieu peut-être ! et bientôt ces folles envies s'évanouissent;
 toute fougue s'apaise ; le positif étouffe l'idéal ; l'impitoyable
raison chasse les beaux fantômes ; plus de rêves à rendre
fou d'enthousiasme; on devient calme, pesant, casanier,
esclave de l'anti-poétique pot-au-feu ; à peine se permet-on
le dimanche, en bourgeois omnibus , une classique expédi-
tion à l'Ile-Barbe. Au lieu de voir, on écoute , on lit ; au lieu
 d'émotions vives de souffrance ou de joie, on a de l'ennui ;
 au lieu de vivre , on végète, et lentement, en bâillant, on
 s'achemine vers l'éternel ennui.
    Moi qui vous dis ceci, j'ai beaucoup souffert pour me ré-
duire à cette vie sage et pénible. L'artiste ambulant, le meu-