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 diant nomade, m'ont long-temps fait envie; mais enfin, comme
 d'autres , j'ai cédé; j'ai pris à deux mains mon imagination va-
 gabonde, je l'ai enchaînée sous une masse énorme d'insipides
détails historiques et de dissertations judiciaires. Elle s'est
long-temps agitée, la pauvrette, pour s'échapper de sa lourde
prison ; elle a crié, supplié, moi j'ai tenu bon ; je l'ai étouf-
fée, assassinée ; et maintenant qu'elle est bien réellement et
bien légalement trépassée, Lyon me salit de sa boue, m'in-
fecte de ses brouillards , m'assourdit et m'hébète de ses cal-
culs ; un rude métier ride mon front , creuse ma poitrine ,
sans m'arracher une plainte. Il est vrai que j'ai trouvé une
compensation à mes riches fantaisies ; de voyageur sans re-
pos, je me suis fait flâneur intrépide.



                               II.

   Tous savez tous l'indolent personnage que l'argot popu-
laire appelle flâneur; vous l'avez souvent aperçu errant sur
vos quais, sur vos places, avec la négligence du rêveur phi-
losophe. Son pas lent et incertain forme une spirale vaga-
bonde, il marche courbé comme un vieillard; l'une de ses
mains joue négligemment dans son gousset avec quelques
sous ou quelques pièces d'argent dont le résonnement ca-
verneux fait envie peut-être au pauvre affamé qui vient à
passer; l'autre main , libre et dégagée, butine insolemment
sur le menu bois ou sur la paille des voitures, puis reporte
entre ses dents le brin conquis, et entretient ainsi son men-
ton dans un mouvement incessant. Il bâille, il soupire, il
regarde , avec un égal intérêt, les marionnettes de l'Auver-
gnat et l'étalage de Baron ; il disserte quelquefois philosophi-
quement sur les inutiles soucis des hommes, sur leur am-
bition et leur cupidité ridicules; mais le plus souvent il
conserve son- esprit dans une molle et sainte oisiveté ou