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21 diant nomade, m'ont long-temps fait envie; mais enfin, comme d'autres , j'ai cédé; j'ai pris à deux mains mon imagination va- gabonde, je l'ai enchaînée sous une masse énorme d'insipides détails historiques et de dissertations judiciaires. Elle s'est long-temps agitée, la pauvrette, pour s'échapper de sa lourde prison ; elle a crié, supplié, moi j'ai tenu bon ; je l'ai étouf- fée, assassinée ; et maintenant qu'elle est bien réellement et bien légalement trépassée, Lyon me salit de sa boue, m'in- fecte de ses brouillards , m'assourdit et m'hébète de ses cal- culs ; un rude métier ride mon front , creuse ma poitrine , sans m'arracher une plainte. Il est vrai que j'ai trouvé une compensation à mes riches fantaisies ; de voyageur sans re- pos, je me suis fait flâneur intrépide. II. Tous savez tous l'indolent personnage que l'argot popu- laire appelle flâneur; vous l'avez souvent aperçu errant sur vos quais, sur vos places, avec la négligence du rêveur phi- losophe. Son pas lent et incertain forme une spirale vaga- bonde, il marche courbé comme un vieillard; l'une de ses mains joue négligemment dans son gousset avec quelques sous ou quelques pièces d'argent dont le résonnement ca- verneux fait envie peut-être au pauvre affamé qui vient à passer; l'autre main , libre et dégagée, butine insolemment sur le menu bois ou sur la paille des voitures, puis reporte entre ses dents le brin conquis, et entretient ainsi son men- ton dans un mouvement incessant. Il bâille, il soupire, il regarde , avec un égal intérêt, les marionnettes de l'Auver- gnat et l'étalage de Baron ; il disserte quelquefois philosophi- quement sur les inutiles soucis des hommes, sur leur am- bition et leur cupidité ridicules; mais le plus souvent il conserve son- esprit dans une molle et sainte oisiveté ou