page suivante »
126 EN OISANS piolet. Prodigue de sa fatigue, amoureux de la solitude et de la désolation, seul il vient parcourir ces contrées désertes. L'absence d'arbres et de prairies ne l'émeut pas ; cette vallée sauvage le ravit; cette nature bouleversée, ces amoncellements de rocs entassés dans les neiges, ces gla- ciers suspendus sur de hautes murailles ont pour lui des émotions inconnues et la vue d'un pic noirâtre et rébar- batif lui met comme une douceur dans l'âme. C'est un fanatique, car il faut être fanatique pour aimer ce pays. Jusqu'à ce jour l'Oisans est son domaine, il y est chez lui, il y est seul, il s'y plait, il en est jaloux, il y trouve les plus grandes dimcultés à surmonter qu'on puisse rencontrer dans les Alpes : en un mot il peut se livrer, corps et âme, à sa passion incomprise de la montagne, rien ne viendra l'en distraire. Et quand il a atteint les sommets que le chamois- ne peut gravir, auxquels l'oiseau ne peut voler, où la plante ne peut germer, alors hypnotisé par l'infini qui se déroule à ses yeux, il perd la notion de son individualité, sa vie passée n'est plus qu'un rêve oublié et son esprit s'envole vers un monde qu'il croit entrevoir à travers les splendeurs des horizons ensoleillés. Le soleil dardait d'aplomb, le lendemain, quand les pro* visions étant préparées, nous partîmes pour le refuge du Châtelleret. Nous montions lentement, à la file, sautant de pierre en roc, dans cet affreux vallon des Etançons. Non! je ne sais rien de plus morne, de plus dévasté que ce ravin lamentable, encombré de débris de toutes dimen- sions, parmi lesquels le torrent, qui souffre mille tortures pour se frayer un passage, jette sa plainte, tantôt sourde