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                       EN Ors ANS                    123

   Je ne l'avais jamais vu qu'en reproduction, mais je crus
retrouver un vieil ami : il nous regarda d'abord attentive-
ment, des pieds à la tête ; puis, nous serrant la main, nous
eûmes vite fait connaissance.
   Bientôt on nous appelle pour souper ; nous nous atta-
blons tous les trois et là, tout'en dînant et riant, les coudes
sur la table, nous étudions nos projets de campagne.
   « — Avant tout, Messieurs, nous dit Gaspard, quel est
votre plan et par quoi voulez-vous débuter ?
   « — Notre plan est de faire les Écrins, et ensuite, si
vous nous en jugez capables, de nous escrimer un peu (par
curiosité !) au pied de la Meije. Mais il me semble qu'il
faudrait d'abord exécuter une petite ascension pour nous
entraîner. Nous avons bien gravi l'Étendard avant hier:
cela ne suffit pas, et du reste c'était la première montagne
que mon frère voyait de près ; dans tous les cas, il est bon,
avant d'entreprendre quelque chose de sérieux, que vous
sachiez à quoi vous en tenir sur nos moyens. »
   Et j'attendis l'effet de mon petit discours aussi sensé
que sage. Gaspard eut un sourire énigmatique: « — Oui,
dit-il, il faut faire une course avant d'attaquer les Écrins,
qui sont très mauvais cette année, Mais profitons du beau
temps; vous me paraissez bien entraînés; nous pourrions
donc de suite prendre quèque chose de conséquent, une bonne
ascension de rochers, par exemple ?
   « — Et quelle serait cette première course ? » Il hésita
un instant :
   « — Eh !... la Meije, si vous voulez ?
   « — La Meije ? »
   Nous nous regardâmes absolument ahuris et j'ajouterai
que, dans ce moment, je me sentis une grande défiance de
moi-même.