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CHARLES MICHEL. 498 tourait une existence d'artiste, un enfant, un peintre, un dessinateur, qui donne déjà à l'art plus que des espérances ; je veux parler d'un tout jeune homme dcMonlpellier, nommé L. David, élève, à cette heure, à l'école des Beaux-Arts, à Paris. Ce jeune homme m'écrit aujourd'hui même : « Je viens d'apprendre une hien fatale nouvelle : M. Siicheî, mon bon, mon généreux protecteur est mort ! Vous devez comprendre quelle dou- leur est la mienne, vous, Monsieur, qui savez tout l'intérêt que cet excel- lent ami me portait. Cette nouvelle m'est arrivée comme un coup de foudre et, depuis lors, je suis tout ahuri et je ne pense pas : j'ai toujours devant les yeux l'image de la mort ! M. Michel était plutôt un père qu'un ami pour moi, aussi la place qu'il a laissée vide dans mon cœur, en partant, ne sera- t-elle jamais plus occupée Je plains les pauvres gens de Grigny, qui lui doivent tant, et qui en retour l'aimaient bien aussi Monsieur, selon le désir de M. Michel , je continuerai L'illustration de Mireille, je lui avais promis de l'achever, et maintenant qu'il n'est plus, je regarde cette pro- messe comme an devoir sacré qu'il me reste à accomplir. Seulement, comme je vais être obligé de travailler pour m'aider à vivre (la pension que me fait ma ville ne me suffisant pas) vous comprenez que la dernière moitié de l'illustration de Mireille marchera lentement. Je dois dire adieu au voj'agc de Montpellier, et me vois forcé de renoncer au plaisir de vous voir ainsi que M. Mistral. J'aurais été si content de vous montrer mes dessins moi-même et de recueillir vos observations lusqu'aujourd'hui M. Michel m'avait conduit par la main dans la carrière difficile vers laquelle mes goûts m'ont poussé. Maintenant il faut que je marche seul ; je prie Dieu qu'il me donne (a résignation et le courage » Que pensez-vous de cette oraison funèbre? Je ne fais qu'ouvrir mon porte-feuille et j ' y trouve, poriant la date du 23 février 1861, une petite lettre bleue de M. Michel, où il me dit : « Lu- bin ( c'est le nom de son intéressant protégé) Lubin travaille beaucoup pour arriver; et ce qui ajoute à ma satisfaction, c'est qu'il est resté gar- çon tranquille au milieu des pièges de Paris. Tout en cultivant son art, il travaille à acquérir des connaissances, à se faire une somme de savoir qui manque à bien des artistes, éminents d'ailleurs » " Et c'est ainsi dans bien d'autres lettres. Lubin était le sujet préféré de ses conversations écrites ou parlées. Il ne tarissait pas quand il parlait ou qu'il écrivait de Lubin, qu'il appelait mon lubin. S ; L. David, bel arbrisseau, devient ce qu'espèrent ceux qui le connais- sent et qui l'aiment, un grand arbre portant de beaux fruits, c'est à M. Michel que l'art le devra, à ses soins paternels, à ses bienfaits. Mon cher Monsieur, veuillez me pardonner cette longue lettre, écrite au courant de la plume, dans une humble boutique de libraire, où je ne puis pas, dérangé que je suis à tout instant, dire les choses aussi complè- tement et aussi bien que je le voudrais. Il ne me rcjte plus qu'à vous demander l'intitulé du livre de moi que vous ferez bien de garder comme un legs que M. Michel vous destinait. — Lis oubreto ? Que si vous avez à cœur de m'interroger de nouveau au sujet de M. Mi- chel, je suis prêt à vous répondre. Adieu, tout à vous et de tout mon cœur. J. ROCMAMLLE. Avignon, 17 mai 186). Nos pertes ne sont pas finies ; nous donnerons , dans nos prochains nu- méros, un dernier adieu à Messieurs Beaumann , Chaley, Genton, Morin, qui viennent de nous quitter, et à une femme qui a honoré la Bresse par ses vertus , ses talents et sa force à supporter le malheur , Madame Louise d'Audiffret, dont les gracieuses poésies seront, nous l'espérons , publiées prochainement par ses compatriotes et ses amis. A. V. Aimé VINGTRWIER, directeur-gérant.