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82 TRAITRE OU HÉROS ? ainsi qu'il avait entrepris d'accroître le jardin du proscrit d'une certaine étendue de terrain jusque-là inculte. Il travaillait un jour à ce défrichement, dès le grand matin, quand vint le rejoindre Ephisio. Ni l'un ni l'autre n'avait déjeûné. — « Frère, lui dit en souriant le bandit, vous avez les yeux si fort attachés à la terre que vous ne vous inquiétez plus de ce qui se passe au ciel. » Ulloa releva la têle. Ephisio lui montra du doigt le soleil déjà fort avancé sur l'horizon. — « Mon estomac m'avait bien déjà prévenu de l'heure, répondit le pionnier ; mais le travail me la faisait oublier, el vous pouvez voir que mon jeûne n'a pas élé celui d'un saint Syméon Stylile : vous avez sous les yeux la preuve que je ne suis pas resté debout en contemplation. Il me tarde si fort d'arriver à la fin de mon entreprise, que je me suis juré de ne suspendre mon Ir'avail à aucun prix avant d'avoir atteint ce point que vous apercevez là et qui en marque la moitié. » Ephisio sourit à tant de zèle et chercha à évaluer approxi- mativement le temps qu'exigerait encore la tâche que s'était imposée Salvador. Il trouva ce temps beaucoup trop long pour son appétit el proposa, en conséquence, de le réduire en réduisant la tâche elle-même. — « Je me tiendrai rigoureusement parole, répliqua Ulloa, et n'en rabattrai rien; mais il dépend de vous, frère, de réduire le temps sans réduire la tâche, et voici comment : si, d'une part, il vous est agréable que nous déjeunions e n - semble, et si, d'autre part, vous tenez à ne pas trop attendre, faites un peu pour votre estomac ce que, jusqu'ici, vous vous êtes abstenu de faire pour moi ; je suis à bout de mes forces, je le confesse, el chaque coup de bêche me coûte trois fois le temps qu'il vaut; allons, frère, à l'œuvre à votre tour, relevez-moi un instant du service que je remplis ici pour"