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TRAITRE OU HÉROS. 47 1res menus oiseaux ; ils renferment à son tour ce cochon de lait dans un mouton ou dans un veau et font ensuite cuire le tout de la manière que je viens d'indiquer, opération qui dure une journée entière. Ces différentes viandes cuisent d'une façon égale, s'imprègnent réciproquement de la saveur propre à chacune et acquièrent un goût exquis. Le cerf, le daim, le mouflon el le sanglier dont on fait dans l'île une consomma- tion énorme, sont presque toujours rôtis à la broche et bien souvent sur le lieu même où ils ont été tués. Revenons maintenant à nos deux amis. Ephisio remit et laissa à Ulloa le soin de dépouiller et de parer sa chasse, pour me servir de l'expression technique ; ce dont celui-ci s'acquitta avec cette merveilleuse dextérité qui, en semblable circonstance, conduit le couteau du moine sarde tout aussi bien que celui du chasseur et du pâtre. Le bandit ne se réserva dans la préparation du festin, que la partie de la tâche qui lui permettait de rester armé. Il amassa le bois. Ulloa disposa et alluma le feu. Ephisio alla ensuite, son fusil en bandoulière, choisir dans la forêt un jeune plant de chêne qu'il coupa el dressa au moyen de son poignard et dont il fit une forte broche. Le daim y fut fixé et on plaça la pièce ainsi parée, devant un feu flam- bant. L'une des extrémités delà broche reposait sur une pier- re disposée à cet effet ; Ulloa accroupi tenait l'autre et faisait tourner le rôti. Les Sardes appellent ce mode de rôtir arrostire à furia furia. Il exige une pratique consommée dans la ma- nière de présenter la viande à la flamme, de telle sorte que rapidement surprise par un fort coup de feu , elle se revête d'un épiderme imperméable qui ne puisse laisser échapper le jus. U m'est arrivé bien des fois, en Sardaigne, d'assister à de semblables scènes, reflets des mœurs antiques, et je n'y ai jamais assisté sans me rappeler le tableau que nous a conservé