page suivante »
NOTICE SUR JEAN-BAPTISTE HUGON. Un jour que la tranquille et paisible ville de Bourg secouait son repos accoutumé pour fêter une des grandes victoires du premier Empire, on eût pu voir s'éloigner du Lycée impéiial un enfant maigre et maladif qui, le cœur gros et les yeux rougis par les larmes, se dirigeait vers le bureau des voitures de Lyon. Son modeste bagage fut sans grand peine bissé sur l'im- périale de la Messagerie, et quand les chevaux ébranlèrent la lourde ma- chine, les regards attristés de l'enfant ne rencontrèrent dans la foule qui couvrait la Place d'Armes que des regards indifférents. Il y a des gens pour qui la vie est bien amère. Le jeune lycéen auquel nous cherchons à vous intéresser et dont la ligure intelligente charmait à travers ses larmes, avait déjà fait,une rude épreuve des douleurs les plus cruelles. L'année auparavant, il avait perdu son père, honnête avoué près la Cour d'appel de Lyon, homme probe, estimé et sans fortune. La famille réunie en conseil avait envoyé le jeune orphelin au Lycée impérial de Bourg, et le pauvre exilé avait eu le cœur brisé en se voyant au milieu de tant de visages inconnus. Au bout de quelques mois, la pension n'étant pas exacte- ment payée, on renvoyait le frôle enfant à ses parents. C'est ainsi que le jeune Jean-Baptiste Hugon quitta les bancs de l'école après avoir appris tout ce qu'on peut enseigner, en six mois, à un enfant de onze ans. Sa science n'était pas grande, mais il y avait de l'intelligence dans ce jeune front largement accentué ; une volonté ferme dans ce petit corps débile ; et, chose précieuse, un jugement droit et un cœur aimant dans la collection de ses bonnes qualités. Ainsi doué, l'enfant devait réussir. Que de réflexions ne fit-il pas en traversant cette triste et mé- lancolique plaine de la Bombes ! comme la campagne était à l'unisson de sa tristesse ! Etait-ce une raison de s'abandonner au désespoir ? Si l'horizon était noir aujourd'hui, n'avait-on pas confiance dans le soleil du lendemain? L'écolier se promit à lui-même de lutter contre l'adversilé, de triompher de tous les obstacles et de se faire une position par sa persévérance et son courage; quand il entra dans Lyon, son plan de conduite était tracé. II n'avait pas de fortune, on ne put lui continuer les bienfaits de l'édu- cation. Son goût l'entraînait vers les arts, et son imagination souriait à la pensée d'ajouter un nom à celui des grands peintres que Lyon a produits, mais sa raison et les conseils de sa famille remportèrent. Les personnes qui s'intéressaient à lui le firent entrer dans une maison de commerce. Une fois dans cette carrière, il ne jeta plus qu'à la dérobée un regard vers la route où son goût l'aurait porté. Son amour-propre dut souffrir autant que son intelligence dans cette prosaïque occupation du magasin qui l'obligeait, lui, enfant do famille, élevé avec soin et tendresse, à s'occuper de chiffres et de marchandises ; artiste et penseur, à n'avoir pour compagnons et camarades que de joyeux et bruyants commis au propos léger, à la conduite plus légère encore. Que de fois il eut de mauvais exemples et de mauvais conseils ! Tout autre aurait succombé à ce contact, tout autre se serait perdu dans ce milieu ; Hugon ne se laissa pas détourner de ses bonnes résolutions. Actif et sou- mis, intelligent et régulier, il se fit bientôt estimer de ses chefs, respecter de ceux qui l'entouraient, aimer de tous et, dans une position infime qui devait bientôt s'améliorer, il montra tout ce quo vaut une âme noble, ferme et vaillamment trempée. Ses études s'étaient arrêtées à la frontière du latin. Comme tous les enfants, il avait largement dédaigné les aridités de la grammaire, de l'his- toire et des autres sciences classiques. Orphelin et maître de lui-même, il apprécia le savoir, étudia seul, apprit non seulement la difficile langue française, mais le latin, l'italien, se perfectionna dans les sciences et dans les arts, surtout dans le dessin, et finit par montrer à ses amis étonnés des eaux-fortes aussi remarquables parla perfection de Inexécution que parla distinction et le grandiose de la composition et de la pensée. Le burin n'était pas la seule distraction du jeune et timide travailleur. Craintif, fuyant le bruit et les folles conversations des jeunes gens de son