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220 DES AFFINITÉS DE LA POÉSIE que nous avons un effort a faire pour raisonner nos impres- sions et les formuler; malgré nous, notre admiration est ré- servée, ou ce qui est encore plus fâcheux, subordonnée sou- vent k des partis pris de systèmes, d'écoles, de coteries. En un mot, la perception du beau nous est laborieuse; elle était facile, au contraire, aux anciens. Les chemins qui mènent à l'idéal n'étaient pas rompus pour eux ; l'arbre de l'art les couvrait de son ombre et de ses branches, et pour en cueil- lir les fruits il leur suffisait d'étendre la main en s'ouriant. Quand le potier d'Athènes s'arrêtait aux Propylées pour con- templer les peintures de Polygnote, Polygnote ne récusait pas sa critique comme venant de trop bas ; de son côté, le potier ne se regardait pas comme très-inférieur au peintre ; il le rencontrait journellement aux assemblées, aux tribu- naux, aux théâtres, dans les temples, a l'armée; il vivait de la même vie d'affaires et d'imagination. De la entre eux une conformité de goût et de sens, une sorte d'égalité morale qui les rapprochait ; et cette égalité, encore qu'elle fût pro- fitable a l'art en lui-même, ne laissait pas de maintenir l'ar- tiste au niveau de l'artisan et d'empêcher qu'il ne s'en dis- tinguât nettement dans la hiérarchie sociale. Il s'en distinguait si peu qu'il n'y avait pas pour lui dans le ciel hellénique, répétition de la société où il vivait, une divinité sous la protection exclusive de laquelle il pût se placer. Les Muses n'avaient admis dans leur chœur gracieux ni la Sculpture, ni la Peinture. Vulcain, l'auteur du bouclier d'Achille et de tant d'autres merveilles qu'Homère s'est plu a décrire, aurait pu, a la rigueur, être revendiqué par les artistes, comme leur patron typique ; mais tel ne fut pas son caractère ! Quoique la piété publique lui attribuât générale- ment tous les vieux chefs-d'œuvre de sculpture et d'orfè- vrerie gardés dans les trésors des temples, il n'en resta pas moins, avec son cortège de Cyclopes, de Dactyles , de Tel-