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84                    SULLY-PRUDHOMME

procède d'une disposition méditative de l'âme et d'une
élévation naturelle de la pensée plutôt que cette magie de
l'expression, dont Victor Hugo a si merveilleusement usé
et abusé en notre siècle, s'est risqué à cette périlleuse entre-
prise. La poésie philosophique et scientifique a trouvé en
M. Sully-Prudhomme un digne interprète. Il est moins
populaire peut-être pour avoir ouvert aux muses françaises
cette voie nouvelle que pour avoir écrit ces courtes pièces
de vers, d'une facture si fine et d'un sentiment si délicat,
dont le Vase brisé reste, pour un grand nombre de lecteurs,
le modèle le plus parfait et le plus souvent cité. La réputa-
tion a ses caprices et ne dispense pas toujours l'honneur en
proportion de la peine. A quelque rang, d'ailleurs, que
l'avenirclasse les poèmes scientifiques de Sully-Prudhomme,
ils constituent Tune des œuvres les plus originales de ce
siècle, et méritent, à ce titre, la plus sérieuse attention.
   Le poète avait été préparé à ce rôle. Elevé au temps de
la fameuse bifurcation imaginée par le ministre Fortoul, il
avait suivi la section des sciences et s'était sérieusement
préparé à l'École polytechnique. Une maladie interrompit,
dit-on, son travail. Le jeune étudiant, qui avait rêvé d'être
ingénieur ou officier, se rejeta vers la Faculté de Droit.
Mais il lui est resté de ses premières études un goût pour
les sciences exactes, qui perce jusque dans les plus poé-
tiques de ses conceptions. L'abstraction lui est familière;
les formules n'ont point le don de l'effrayer. Il y a de la
géométrie et de l'algèbre dans ses vers, et l'une de ses plus
intimes jouissances est d'exposer avec la précision du savant
et l'élévation du poète quelque grande loi de la nature. Son
droit terminé, avant de se consacrer aux lettres, il passa un
an environ dans la grande usine du Creusot, en face des
merveilles de l'industrie moderne. Poète par le cœur, il est