page suivante »
LE PREMIER AMOUR
4o
agité, il me sembla que chaque lettre de ce vers se transfor-
mait en un personnage fantastique et que tous ensemble
exécutaient autour de ma personne une furieuse sarabande.
Je sentais ma tête remplie d'une légion de fantômes mena-
çants ou moqueurs.
La lassitude et la chaleur m'avaient complètement assoupi.
Je ne sais combien de temps se prolongea l'hallucination.
Quand je me réveillai, un chien me léchait les mains, et le
chasseur — l'inévitable chasseur — était debout, à quelques
pas, me regardant avec des yeux où je pouvais lire à la fois
la moquerie et une curiosité bienveillante.
— J'allais vous réveiller, me dit-il, car il est dangereux,
même à votre âge, de dormir ainsi en plein soleil. Vous
êtes bien aimable d'avoir répondu à mon invitation d'avant-
hier, mais, en vérité, je ne m'attendais pas à vous retrouver
si tôt au sommet du Tanargue.
— Voyez ce sac, lui dis-je. Les simples qu'il contient
vous expliqueront ma présence. Est-ce donc la première
fois que vous rencontrez sur ces hauteurs des chercheurs
de plantes médicinales ?
— Non, sans doute, répondit-il, mais les herboriseurs
sont généralement moins jeunes, et ils ne font pas de bou-
quet pour les jeunes filles.
— Vous êtes bien dur, répliquai-je, pour des faiblesses
que vous avez dû éprouver comme les autres.
— Et voilà précisément, dit-il, pourquoi je voudrais
prévenir d'inévitables déceptions chez les jeunes gens qui
m'inspirent de l'estime et de la sympathie.
Ces derniers mots rompirent la glace entre nous. Je lui
tendis la main. Puis je lui racontai ma romanesque aven-
ture et la visite que nous venions de faire au Grand-Pâtre.
— O sainte candeur, s'écria-t-il, si tu quittais la terre,