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182 LA BATAILLE DE NÉZIB tourbillon; cette fois l'e'lanest irrésistible. L'avalanche renverse et entraîne tout. Ibrahim et Soliman, le sabre à la main, gravissent les pentes au milieu de leurs soldats enivrés ; le flot gagne ; il touche les crêtes ; le centre et la gauche gravissent de leur côté. En voyant la jour- née perdue, les Kurdes et les Bachi-Bozouks lâchent pied, les Turcomans les suivent, les Turcs jettent leurs armes ; chacun s'enfuit et cherche à se mettre, en sû- reté. Khaled-Pacha, un des meilleurs généraux ottomans, tombe frappé d'une balle; un jeune colonel, Ibrahim Bey, qui avait fait son éducation militaire en France, ne peut résister à son désespoir : — « Voyez si les musulmans élevés en Europe savent se battre et ont de l'honneur, » crie-t-il à ses soldats débandés, et, se jetant dans la mêlée, il trouve bientôt la mort qu'il cherchait. Le baron de Moltke surpris, pique son cheval et le pré- cipite du côté des montagnes. Il n'a pas le temps de rentrer sous sa tente et il fuit, en y laissant ses papiers, sa correspondance, ses effets, ses armes, tout ce qui lui appartient. Malheureusement, aucune balle égyptienne ne vint le frapper dans sa course et arrêter sa fortune militaire. Si le Français qui commandait l'armée égyp- tienne eût pu lire dans l'avenir et que de son yatagan il l'eût abattu à ses" pieds, la France n'aurait pas eu 1870 et la vaillante nation n'eût pas été honteusement vaincue par les combinaisons du stratégiste qui orga- nisa sa ruine du fond de son cabinet. Qui sait si le transfuge danois n'a pas songé parfois au héros lyonnais, à Sève et à la bataille de Nézib, quand il poussait son souverain à nous faire la guerre et qu'il préparait les combinaisons qui devaient nous écraser, un jour, sous le nombre plutôt que sous la valeur.