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de l'année dernière. — Les Honneurs partagés, tel est le titre sous lequel
M. Biard nous montre un épicier nouvellement chevalier de la Légion-d'Hon-
neur.se premenantaux Champs-Elysées avec sa femme et son parapluie; un
factionnaire lui porte les armes, le décoré se redresse et rend le salut mili-
taire ; sa femme se retourne et fait une profonde révérence. La charge est
bonne, quoique forcée. Mais une plaisanterie qui fait peu d'honneur à son
auteur , c'est la Partie de bain en famille. Ce gros bonhomme est tout ce que
 nous connaissons de plus hideux; la femme, de plus ignoble. Cela passerait
tout au plus dans une lithographie ; mais nous ne concevons pas comment un
artiste comme M. Biard peut se complaire à un pareil sujet et le parfaire jus-
qu'au bout. La charge d'ailleurs n'est bonne qu'autant qu'elle est vraie. Or,
quelque parisien qu'on soit, est-on jamais entré dans la rivière avec un livre
sous le bras? L'extrême dilatation de l'abdomen bourgeois semble au surplus
indiquer assez que celui qui en est affligé pense bien plus à la nourriture du
corps qu'à celle de l'esprit. Et puis serait-ce trop exiger que ce parapluie, ou-
 vert pour garantir le baigneur du soleil, produisit son effet, c'est-à-dire mît
 dans l'ombre la tête et une partie du corps? —Une des plus jolies choses
 de M. Biard , c'est son Harem, étude d'après nature. Ces femmes sont bien
 groupées, bien indolentes, le gros Turc bien sensuel; le tout est très-har-
 monieux, facilement fait; c'est vrai et c'est bien bien. — Les Suites d'un Nau-
frage présentent une scène de désolation: des sauvages viennent de dépouil-
 ler des femmes et des enfants; déjà ils se sont emparés de leurs schals et
 de leurs robes , et ils se préparent, en dansant, à mettre à mort leurs vic-
times. La charge est là naturellement liée au drame. C'est d'un grotesque
effrayant.

    Nous connaissons une partie de l'exposition de M. Jacquand : le Frondeur,
 Cinq-Mars à Perpignan, Cinq-Mars allant au supplice ; nous ne parlerons donc
 que des deux tableaux inspirés par le dernier poème de M. de Lamartine :
 dans l'un, c'est Laurence attendant JoceJyn; dans l'autre, c'est Jocelyn aux
 pieds de l'évéque ; dans l'un et l'autre, c'est toujours M. Jacquand avec sa
 désespérante facilité de brosse, et malheureusement il n'y a que de la facilité
 et de l'adresse ; et qu'est-ce que cela en peinture ? Où l'on désirerait de la
 naïveté , c'est de la manière ; où il faudrait du sentiment, c'est de l'exagéra-
tion ; et puis toujours de la facilité et de l'adresse , et une prétention à l'effet
d'autant plus désolante , qu'elle attire les regards sur des choses qui ne sou-
tiennent pas l'analyse, si peu sévère qu'elle soit. Il faut que M. Jacquand se
tienne en garde contre lui-même, qu'il étudie davantage, qu'il n'oublie pas
que le dessin est pour quelque chose en peinture , et que dans les œuvres
d'art, la tête doit diriger la main.