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306 de l'année dernière. — Les Honneurs partagés, tel est le titre sous lequel M. Biard nous montre un épicier nouvellement chevalier de la Légion-d'Hon- neur.se premenantaux Champs-Elysées avec sa femme et son parapluie; un factionnaire lui porte les armes, le décoré se redresse et rend le salut mili- taire ; sa femme se retourne et fait une profonde révérence. La charge est bonne, quoique forcée. Mais une plaisanterie qui fait peu d'honneur à son auteur , c'est la Partie de bain en famille. Ce gros bonhomme est tout ce que nous connaissons de plus hideux; la femme, de plus ignoble. Cela passerait tout au plus dans une lithographie ; mais nous ne concevons pas comment un artiste comme M. Biard peut se complaire à un pareil sujet et le parfaire jus- qu'au bout. La charge d'ailleurs n'est bonne qu'autant qu'elle est vraie. Or, quelque parisien qu'on soit, est-on jamais entré dans la rivière avec un livre sous le bras? L'extrême dilatation de l'abdomen bourgeois semble au surplus indiquer assez que celui qui en est affligé pense bien plus à la nourriture du corps qu'à celle de l'esprit. Et puis serait-ce trop exiger que ce parapluie, ou- vert pour garantir le baigneur du soleil, produisit son effet, c'est-à -dire mît dans l'ombre la tête et une partie du corps? —Une des plus jolies choses de M. Biard , c'est son Harem, étude d'après nature. Ces femmes sont bien groupées, bien indolentes, le gros Turc bien sensuel; le tout est très-har- monieux, facilement fait; c'est vrai et c'est bien bien. — Les Suites d'un Nau- frage présentent une scène de désolation: des sauvages viennent de dépouil- ler des femmes et des enfants; déjà ils se sont emparés de leurs schals et de leurs robes , et ils se préparent, en dansant, à mettre à mort leurs vic- times. La charge est là naturellement liée au drame. C'est d'un grotesque effrayant. Nous connaissons une partie de l'exposition de M. Jacquand : le Frondeur, Cinq-Mars à Perpignan, Cinq-Mars allant au supplice ; nous ne parlerons donc que des deux tableaux inspirés par le dernier poème de M. de Lamartine : dans l'un, c'est Laurence attendant JoceJyn; dans l'autre, c'est Jocelyn aux pieds de l'évéque ; dans l'un et l'autre, c'est toujours M. Jacquand avec sa désespérante facilité de brosse, et malheureusement il n'y a que de la facilité et de l'adresse ; et qu'est-ce que cela en peinture ? Où l'on désirerait de la naïveté , c'est de la manière ; où il faudrait du sentiment, c'est de l'exagéra- tion ; et puis toujours de la facilité et de l'adresse , et une prétention à l'effet d'autant plus désolante , qu'elle attire les regards sur des choses qui ne sou- tiennent pas l'analyse, si peu sévère qu'elle soit. Il faut que M. Jacquand se tienne en garde contre lui-même, qu'il étudie davantage, qu'il n'oublie pas que le dessin est pour quelque chose en peinture , et que dans les œuvres d'art, la tête doit diriger la main.