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254 affermoyent le bas de la ville tant seulement deuoir périr, pour ie ne sçay quelle occasion imaginée en leur cerneau. Et à fin que tu sois mieux infor- mé de ce fait, ie te feray. un brief récit de la situation do la ville. Lyon tient partie de la .montagne , partie du plat pays : du costé de la montagne il re- garde le pays de Forest, et a pour ses bornes la Saône, fleuve fort doux et non impétueux, sur lequel il y a vn pont qui ioint les deux parties de la ville ; du costé du plat pays , il a son aspect sur le Dauphiné, duquel il est séparé par le Rosne , et conioint par vn. pont fort ample, finissant à vn hourg nommé la Guillotiere, tellement que ceste partie est presque enclose du Rosne et de la Saône , qui a esté aucunement cause au peuple de plus grande frayeur et espouuanlement. Doncques pour reuenir a nostre propos le Rosne commençant à inonder le bas de la ville et petit à petit à l'occuper, plu- sieurs des habitans «'enfuyant gaignoyent la montagne, avec tel effroy , que ie ne sache. celui à qui, voyant ceste pitié , les cheueux ne fussent dressez en la teste : les autres plus constans , euitant la furie de l'eau , se sauuoyent de rue en rue, quittans leurs maisons , meubles et autres choses précieuses » comme si plus ils n'en eussent eu affaire : les autres aussi surpris par l'impé- tuosité , se iettoyent à travers l'eau auec ce qu'ils pouuoyent emporter et sauuer : d'autre costé on n'oyoit que regrets et plaintes : les vns de leurs femmes , les femmes de leurs maris, ou enfans accablez sous les maisons qui trébuchoyent ou noyez : aulfesfte leurs parens , amis ou voisins , pour les yoir en peine : les vns aussi dé W|irs maisons ou métairies abattues par la vio- lence de l'eau, les autres de leur bestail submergé et perdu. Et ce qui d'auantage esmouuoit vn chacun à compassion , les pauures gens de village se sauuans au mieux qu'il leur estoit possible de leurs maisons submergées, les vns fort pauurement, les autres auec ce qu'ils auoyent peu retirer et con- seruer : autres portans aussi leurs enfans entre les bras , les uns vifs , les au- tres morts. O misère, à calamité , ô temps fort déplorable ! Yoir plusieurs en grande langueur et détresse , et eslongnez de toute aide et secours , miséra- blement périr : pauures petits, enfans dans leur berceau agitez et poussez deçà delà crier miséricorde : quelques villages cachez sous l'eau : maisons tomber, fondre et s'abbaisser : bestail, languissant transir et mourir : terres par l'inondation gaslees : le laboureur se désespérant pour estre frustré de son attente : n'est-ce chose fort pittoyable , et digne de la mémoire d'vn cha- cun ? Si puis-ie bien assurer que Messieurs de la Justice et du Corps de la ville ont pourueu si promptement et si diligemment à tel désastre , qu'il ne se pourra dire qu'aucun soit péri par leur négligence et faute , ni de ceux qui y pouuoyent suruenir. Car d'y avoir espargné chose qui fut en leur puis- sance , ie ne sache celuy qui s'en osast plaindre , ainsi qui ne die les auoir