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233 Je la retrouve enfin , enfin je la revois, Mais bien triste et confuse et la tête baissée Cachant dans son silence une sombre pensée. C'est que la jeune fille est aux bras d'un époux, El que l'amour n'est plus qu'un souvenir pour nous,... Moi je lui prends la main ; sa tristesse profonde Me fait rêver comme elle ; et la vie et le monde, Et notre enfance heureuse et notre âge présent, Tout s'efface pour nous comme un rêve innocent, Et dans ce court instant où nous mêlons nos laïmes, Le bonheur d'autrefois jette encor quelques charmes. 0 mon Dieu ! pourquoi donc nous avez-vous permis D'user ainsi nos cœurs en rêves ennemis, De toujours désirer et d'endormir nos âmes Aux humides baisers de quelques jeunes femmes, Et de nous éveiller aux jours de notre été , Pleurant les fruits dorés de la virilité , Et d'arriver enfin , le front creusé de rides, A travers les rochers et les sentiers arides, Sans bonheur , sans repos, comme le laboureur , Au bout de son sillon fécondé de sueur! Pourquoi, pourquoi, mon Dieu ! donner à nos pensées Tant de force et d'ardeur, si nos âmes lassées Ne peuvent supporter les dons brûlants des deux ? Pourquoi, dans votre loi dictée à nos aïeux , Pourquoi, dans les discours de vos sacrés oracles , Pourquoi, dans votre fils, l'envoyé des miracles, Jésus crucifié , nous avoir reflété Tous les plus purs rayons de la divinité , Si nous devons mourir et léguer à la terre Le mot sombre et fatal de l'éternel mystère ; Si nous ignorons tout, si notre œuvre ici bas Est d'aller lentement de la vie au trépas Sans savoir le secret de notre destinée , Et par quel vent d'en haut fut si vite fanée Et la fleur de notre ame et la fleur de nos jours ?