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Mais, en hiver, direz-vous, ma chambre sera obscure et froi-
de; obscure, je le veux, mais froide! A l'heure où le soleil
est recherché par les vieillards, après midi, il siégera dans
voire chambre-, par sa douce présence et ses promesses em-
baumées il vous rendra moins long le rude hiver.
Dirai-je mes meubles , mes livres, mes papiers que n'aurais-
je pas à raconter? et la triste destinée de ce fauteuil, qui après
avoir servi à une maîtresse de roi est venu s'enfouir dans une
chambre de garçon, pour continuer ensuite sa vagabonde exis-
tence et la finir, entre les mains de qui? Dieu le sait! £t le bi-
zarre arrangement de ces livres parmi lesquels l'Imitation de
J.-C. est fraternellement appuyée sur Némésis, le Nouveau Tes*
tament sur la Morale des St-Simoniens, l'Enéide sur l'Alaric de
Scudéry. Voilà Gilbert et Jean-Jacques ayant droit de bour-
geoisie et se pavanant à côté de Voltaire. Et ces manuscrits de
touL âge , que ne diraient-ils pas? voilà toutes les élucubra-
lions de ma jeunesse. Que de pleurs et de cris de rage, que
de rires et de folle gaité! Voilà vos lettres joyeuses ou tristes,
à vous qui vivez encore , à toi qui n'es plus, ô mon pre-
mier et meilleur ami
Mais, hélas! l'effet de mes réflexions s'est fait sentir sur
moi-même. Ma paupière appesantie demande le sommeil. A
demain, si le froid est moins vif et ma paresse moins grande,
je ferai peut-être ma première expédition.
V.
Un joli garçon de ma connaissance, amoureux de sa tour-
nure élégante, de sa jambe bien faite, de son teint rose et frais,
de ses beaux cheveux et de ses grands yeux noirs, el fier
aussi de sa toilette riche et gracieuse, promenait un soir
avec moi sous les Tilleuls de Bellecour. Il m'avait expres-
sément choisi, entre vingt jeunes gens, pour faire ressortir