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M0SIQCE DRAMATIQUE. 483 de nouvelles expressions à la pensée de l'époque, il la tradui- sit de mille manières différentes, il l'entoura de mille acces- soires, la couronna de mille fleurs aux couleurs éclatantes, il l'exposa, il l'épuisa, mais il ne la franchit pas. — Je me trompe, il la franchit quelquefois, il la franchit dans Otello, œuvre divine appartenant toute entière par la haute expres- sion dramatique, par l'unité admirable de l'inspiration et par l'eura de fatalité qui y règne, à l'époque nouvelle. Il la franchit dans Moïse et par dessus tout dans Giitëlaume Tell, drame lyrique, le plus parfait qui existe. Quelle variété de tons et d'accents, dans celte œuvre capitale. Tous les senti- ments y sont exprimés avec une grande vérité : la pitié filiale, le calme et la sérénité de la vie champêtre, l'ivresse de l'amour et de la liberté. On y sent partout une âme profon- dément émue de l'amour de la patrie et de l'horreur de l'esclavage. La mélodie y coule à pleins bords du cœur du poète comme une source intarissable, et le maître la revêt aussitôt de ces formes variées et simples qui la développent et la fortifient sans en ternir la sérénité. Les modulations sont toujours amenées naturellement par le cours de l'idée principale et des péripéties de la passion. C'est une musique remplie de feu et de lumière, qui vous attendrit et vous éclaire tout à la fois (Scudo, loc. cit.) Je le répète, Guillaume Tell est un des plus beaux chefs- d'œuvre de l'esprit humain. Il est la dernière et suprême transformation du génie de Rossini. On trouve encore, dans d'autres œuvres de Rossini, plus d'une tendance vers l'école future, mais je parle du génie, de la conception qui domine non une scène, non un acte, non une partition, mais toutes les œuvres de Rossini. Il est certain que ce divin chantre a pressenti la musique sociale, car, quel est le génie qui, placé sur les limites d'une époque qui s'éteint, ne s'éclaire parfois pas aux rayons de celle qui surgit?