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 66               BÉRANGER ET PIERRE DUPONT.
Béranger a tâtonné longtemps; il l'avoue lui-même. Un œil
exercé découvre aisément, dans ses premières chansons, les
réminiscences de Parny, par exemple, dans la Bacchante, pièce
trop vantée,plus lascive, plus libertine que passionnée, l'influence
de la tradition chantante du dernier siècle se retrouve dans le
Petit homme gris, le Voyage au pays de Cocagne, etc. etc.
Béranger ne s'est pas non plus entièrement dérobé à l'action de
la littérature impériale ; lui aussi, a toujours eu un peu
l'horreur du mot propre et l'amour du langage noble. Le cheval
est toujours pour lui un coursier, et, dans la chanson, Mon
habit, admirable d'ailleurs, il dira avec une périphrase.-
                  Quand le sort à ta mince étoffe
                  Livrerait de nouveaux combats,
                  Imite-moi, résiste en philosophe ;
                  Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
    J'imagine que, sous la Restauration, bon nombre de critiques
 durent donner à Béranger le conseil de se retirer de !a
 politique. On lui criait sans doute, comme aujourd'hui à M.
 Dupont : Faites encore de ces chansons que vous faites si bien,
 des chansons de table : c'est là où vous réussissez le mieux.
 Ces conseils, bons parfois, ont toujours un tort, c'est d'être
 intéressés. Les donnerait-on, si l'auteur flattait notre parti,
 répondait à nos sentiments? cela n'est pas sûr. Le mieux est
 donc de laisser le poète agir à sa guise, de le juger sur ce qu'il
 fait, et non sur ce qu'il devrait faire. Tout poète a, d'ailleurs,
 comme Socrate, son démon familier, auquel il prête volontiers
 l'oreille, et, si quelqu'un, après 1830, fut venu dire à Béranger
 qu'il aurait plus sagement agi, en ne se mêlant pas à la
politique, le chansonnier n'aurait-il pas pu, en présence d'une
révolution accomplie, répondre, comme Jeanne-d'Ârc à ses
juges : les voix que j'entendais étaient de Dieu.
   D'ailleurs, dans le seul intérêt de sa gloire, Béranger a bien
fait de s'engager dans la politique; car il est hors de doute que son
talent y a gagné du nerf, de la vigueur, de l'élévation. C'est
par ce chemin qu'il a gravi les hauteurs lyriques, témoin ces
deux immortelles chansons : Le cinq mai et la Sainte alliance