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BÉRANGER ET PIERRE DUPONT. 67 des peuples. Le souffle de la liberté, en traversant ses refrains, les,a fait vibrer plus noblement; sa muse, comme il dit quelque part, chante, assise entre deux soldats, sous les treilles des guinguettes; c'est le patriotisme qui est vraiment le sel qui purifie ce qu'il peut y avoir de répréhensible dans son œuvre, aux yeux sévères du moraliste. Je me figure quelquefois l'effet que produiraient les chansons de Béranger, si elles étaient publiées aujourd'hui. Quel hourra d'invectives ne soulèveraient-elles pas ? Je vois d'ici tous nos petits de Maistre, toute la couvée bâtarde et criarde du grand aigle, entrer en campagne. Comme on lui ferait vite son procès, au pauvre chansonnier ! comme on lui prouverait ex cathedra et en deux points, qu'il est corrupteur de la jeunesse, corrompu lui-même, et, par forme de' conclusion, dépourvu de toute espèce de talent; on lui citerait un à un tous ces noms de pécheresses: Sophie, Rose, Adèle, Neris, sans compter Li- sette sous le vocable desquels, il a fêté l'amour. Ou je me trompe fort, ou les journaux les plus dévoués à Béranger seraient, vu la pudeur des temps, fort mal à leur aise pour le défendre. Je me persuade même que, pour garder quelque chose de son œuvre, ils seraient forcés de faire, comme on dit, la part du feu.. Frétillon, mal défendue, monterait sur le bûcher.- tant il est vrai qu'il ne suffit pas d'avoir du talent, il faut encore venir en son temps, venir à propos. C'est là cette goutte de fortune dont parle Diogène et qui vaut mieux qu'un plein muid de sagesse. • La bourgeoisie, dans les conjonctures présentes ne prendrait pas en main , comme par le passé, je le suppose du moins, la cause de Fauteur du Dieu des bonnes gens, elle ne chanterait plus ses grivoiseries les plus épicées, en narguant le clergé. M. Dupin lui-même accepterait-il la défense de Béranger devant une cour d'assises? Je sais tout ce qu'on peut dire, en faveur de Béranger, pour» excuser les écarts de-sa muse. Depuis Jean de Meun, le continua- teur du Roman de la Rose, qui écrivait en plein XIIIe siècle : Nature n'est pas si sotte Que de faire naître Marotte Tant seulement pour Robichon