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              CHRONIQUE                   DRAMATIQUE.

                   MERCADET, PAR BALZAC.
    Le théâtre des Céleslins, à travers tant de pièces médiocres et sans portée,
vient enfin de nous donner une Å“uvre remarquable par le fond el par ia
forme, Mercadet, comédie en trois actes de feu Honoré de Balzac. Cet ouvrage
fort applaudi à Paris, a obtenu devant le parterre lyonnais un succès qui a dé-
passé notre attente. Il estimpossibledesc figurer ceque cette comédie contient
de mots élincelants. Le dialogue est une escrime perpétuelle ; l'éclair jaillit
au milieu du cliquetis des phrases avec une telle vivacité que le spectateur
en est comme aveuglé et étourdi; les acteurs semblent vraiment marcher
sur des capsules de poudre fulminante, semées par mégarde sur le plancher
de la scène, tant les réparties pétillantes éclatent de tous côtés et à tout ins-
tant : et tout cet esprit n'est pas vulgaire, comme cela arrive ordinairement
dans les pièces de M. Scribe où les bons mots ont toujours deux ans de date.
 M. de Balzac n'était pas de ceux qui font leurs livresavec Ses rognures dos li-
 vres d'autrui ; il pouvait se chauffer avec son propre bois sans aller ramasser
 les copeaux littéraires qui gissent dans les recoins des ateliers dramatiques,
    M. de Balzac était certainement une des organisations les plus surpre-
 nantes de notre temps, et quand la postérité s'occupera de classer nos répu-
 tations, nos célébrités modernes, nous ne doutons pas qu'elle ne lui fasse une
 place à part. On peut aisément prévoir qu'il se partagera l'empire avec George
Sand ; et de MM. Dumas et Sue il ne sera plus guère question, il y a dans
 Balzac du Rabelais, du Diderot, du Charles Fourier, quelque chose de plein.
 d'abondant, de touffu, et en même temps une patience, un amour du fini?
 une laborieuse passion du détail, qui va jusqu'au précieux et au maniéré.-
 On reste confondu du soin qu'il apportait à la moindre des innombrables as-
 tragales qui s'enroulent autour de ses romans. Pour qui sait regarder, tout ce
 désordre apparent cache un art admirable et atteste chez l'écrivain une
 merveilleuse possession de lui-même ; c'était dans la meilleure acception du
 mot une tête carrée, une tête où toutes les connaissances acquises trouvaient
  une case pour n'en plus sortir, une tête en «utre douée d'un formidable tra-
 vail d'élaboration et de concentration. Oa a dit que Balzac était sur-
 font observateur ; cela n'est vrai qu'à moitié , il a plus deviné qu'il n'a ob-
 servé, comme du reste tous les grands esprits. Est ce que, par exem-
 ple, les mystiques du moyen âge qui nous ont laissé des travaux si remarqua-
 bles comme étude du cœur humain, avaient observé autre chose qu'eux-
 mêmes? non, ils avaient lu l'histoire du monde dans leur propre histoire.
 Loin donc de croire que Balzac était uniquement observateur, nous inclinons
 plutôt à penser qu'il était trop hardi et trop subtil dans les inductions qu'il
 lirait d'une observation vraie; de là cette apparence fantasmagorique qui
 s'allie si étrangement à son réalisme. De là aussi les proportions énormes