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                         RÉTIF DE LA BRETONNE.                              21
résulteront de cette double propension à jouir et à moraliser, les efforts que
ce Lycurgue au petit pied et à moitié ivre fera pour concilier en lui ces con-
tradictions, supposez ensuite dans cet homme une parfaite indépendance
d'esprit qui va jusques à la naïveté et la bonne foi, même dans les choses les
plus exhorbitantes, el vous aurez l'auteur du Paysan perverti, du Palais-Royal,
 du Pornographe, des Gynographes, de la Mimugraphe, etc., etc.
   Examinée par Gall ou un de ses disciples, la tête de Rétif a dû présenter
deux protubérances bien distinctes, correspondantes aux deux passions que
 nous indiquons. Rétif est homme à s'arrêter eu plein récit pour vous dévelop-
per un plan sur le balayage des rues ou l'établissement des trottoirs. De même
qu'il n'a pas écrit une nouvelle sans en tiver une moralité emphatique et ac-
compagnée de points d'exclamation, de même il n'a pas rencontré sous sa
main un lieu commun de morale sans vouloir le mettre en action dans une
petite historiette. C'est par ce côté qu'il rappelle Berquin dont nous avons cité
le nom plus haut. El c'est non-seulement la morale que Rétif met eu nou-
velles, ce sont aussi les préjugés populaires, les découvertes médicales ou
scientifiques, les inventions nouvelles dont il détluit immédiatement les con-
séquences pratiques, (jette opinion courante el à peine justifiée aujourd'hui
par la science que la cohabitation des vieillards et des enfants est nuisible à
ceux-ci, lui suggère dans son Palais-Royal une théorie honteuse où (a dé-
bauche est élevée à la hauteur d'un traitement hygiénique, il retourne l'o-
pinion reçue et nous momie en plein exercice un établissement où l'on rajeu»
nil des vieillards avec des procédés que je n'indiquerai pas, bien entendu,
e t ce qu'il y a de plus étonnant ou de plus affligeant, c'est que Rétif, au mi-
lieu des turpitudes qu'il décrit, s'écrie, avec naïveté peut-être : ô Fontenelle,
ô Voltaire, ô Rousseau, si un tel établissement eût existé de votre temps, vous
 vivriez encore pour le bonheur de l'humanité !
   A vrai dire, cette démangeaison de moraliser, d'écrire des plans de constitu-
tion, des traités d'éducation pour les particuliers et les gouvernements a été
partagée parle XVIIIe siècle tout entier, mais nul ne l'a plus vivement ressentie
que Rétif. A l'exemple de Voltaire, de Rousseau, de d'Alembert, de Diderot,
il adressait aussi ses livres aux. rois de l'Europe et aux ministres, et il parait
même qu'il fut consulté tout comme de plus grands que lui. Ce caractère
positif, cet enthousiasme pratique du XVIIIe siècle est à noter, car il ré-
poud à ce singulier reproche de scepticisme si fréquemment et si niaisement
renouvelé contre ce siècle fervent entre tous, mais fervent à sa manière. Eu
effet, jusque dans ses petits soupers, le XVIIIe siècle a prêché et milité. Il
s'était fait une sorte de Vénus philosophique qui n'avait certes rien gagné en pu-
deur sur l'ancienne, mais qui prétendait systématiser même la volupté. Tou! fut