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                 BÉRANGER ET PIERRE DUPONT.                     65
«Après le dénouement fatal de si longues guerres, dit-il, l'opinion
du peuple ne m'a pas paru décidément contraire aux nouveaux
maîtres qu'on venait d'exhumer pour lui. » Ceci est vrai de la
société officielle d'alors. Gorgée d'or et d'honneurs par
l'Empereur, elle s'empressa de l'abandonner, de le livrer, pour
ainsi dire, en otage aux Bourbons, espérant que sa trahison
lui vaudrait un pardon ; mais en fut-il ainsi du peuple des villes
et des campagnes? je ne le crois pas ; le peuple comprit de suite
que la fortune de la révolution était, en ce moment, liée à
celle de l'empereur, et l'avenir se chargea de prouver qu'il
était, en cela, plus clairvoyant que Lafayette et autres.doctri-
naires de 89, rêvant niaisement, sous le canon de Blùcher, des
alliances ou des solutions impossibles.
   Toutefois, le dernier coup de canon n'a pas été tiré à
Waterloo, que Béranger sait à quoi s'en tenir sur la nouvelle
situation qui est faite à la France. Plus d'hésitation ; le géant
abattu, il en mesure toute la grandeur : comme si c'était une
loi inévitable, ainsi que nous le disions plus haut, que la poésie
ne fût comprise qu'à distance, et à travers la magie du souvenir.
Le chansonnier appartient désormais au héros tombé, à la
révolution, au peuple ; il les confondra tous trois dans ses
chants, dans son dévouement de toutes les heures. Ses con-
victions, pour avoir été plus lentes à se former, n'en seront
que plus fortes. C'est une remarque à faire, que les opinions
extrêmes, nées sous le coup de fouet des événements, sont
promptes à dévoyer, faciles aux revirements. Celles-là résistent
et marchent droit devant elles, en dépit des obstacles, qui,
modérées à leur début, conformes, d'ailleurs, à notre humeur
naturelle, à notre tempérament, s'enracinent avec le temps,
se développent longuement, et, nourries de la substance même
de notre être, finissent comme par en faire partie.
   En même temps que la vocation politique do Béranger se
dessine, son style s'affermit, sa manière devient plus précise; il
abandonne ce culte de la gaudriole qui eut sa première
ferveur. Il ne faut pas s'imaginer que la joyeuse Minerve de
Béranger soit sortie, un beau jour, toute parfaite de son cerveau,
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