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522               MADEMOISELLE DE MAGLAND.

y invita tous trois. Le dîner fut silencieux et ennuyeux; tout ici
est grave et solennel. Raoul, lui-même, est froid et contraint ni
présence de sa mère. En sortant de table, il m'offrit tout bas u»
cigarre chez lui, et nous grimpâmes vite à l'étage le plus élevé du
château;à chaque marche que nous gravissions on eût dit que Ban
déant laissait un morceau de l'enveloppe de marbre qu'il revêlait
sous les yeux de sa mère; arrivé chez lui, j'avais retrouvé le
Raoul d'autrefois; il s'est arrangé un salon ou plutôt un atelier dont
l'aspect me reporta bien vite au temps heureux que nous passâmes
ensemble à Paris, travaillant le moins possible, fumant beaucoup et
devisant toujours d'art et de systèmes d'école. Les murs de ce char-
mant réduit sont couverts de toiles ébauchées, de plâtres, de des
sins, tout cela mêlé à des armes de tous genres, depuis le bric nui-
lais jusqu'aux pistolets anglais à la fine ciselure, et à des pipes du
tous les pays : le h'ouka, le chiche, le narghileh, le chibouque, le
calumet, la pipe du student allemand, et jusqu'au vulgaire brûlù-
gueule se font remarquer dans cette collection qu'envierait le baron
Taylor lui-même. De grands vases du Japon renferment une formi-
dable provision de tabac de Latakieh, dont nous chargeâmes deux
énormes pipes, et, mollement établis devant un feu pétillant, nous en-
gageâmes la conversation. Après avoir parlé de nos amis absents, de
Paris, de notre joyeuse vie d'atelier, Raoul me dit tout à coup:
Que penses-tu de M lle de Magland ? Cette question à brûle-pour-
point me prouvait ce dont je me doutais déjà ; à savoir que, chez le
meilleur de nous, l'amour est toujours mélangé à deux tiers d'a-
mour-propre.— Elle m'a paru telle, répondis-je, que je me battrais
d'avoir été si gauche et si vulgaire auprès d'elle. — Si tu sais que.
dans peu elle sera la compagne de ma vie, tu dois t'étonner de la
manière dont ma mère en parle ; si elle voulait se rappeler que
MUe de Magland, privée de sa mère dès le berceau, a été élevée par
son père qui s'est chargé seul de son éducation, elle lui pardonne-
rait des habitudes, des manières toutes en dehors de ses idées. Tu
comprends qu'au fond de la Bretagne, où rien n'a changé depuis
trois siècles, dans le manoir de ses ancêtres, où elle a passé sa vie,
elle n'a pu apprendre que plus l'esprit d'une femme se perfectionne,
plus les qualités de son cœur s'agrandissent; dans ses idées un ta-