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ET DE L'EMPIRE. 42^ Tout est plein de Jupiter, selon la parole antique. Au plus haut, point de sa fortune , Napoléon a non seulement asservi son époque , mais il a même asservi l'histoire à venir; il l'a envahie , il l'a ab- sorbée dans sa formidable personnalité. Il n'y aura plus de nation française; le peuple français n'aura qu'un âge et qu'une aptitude: l'âge de la conscription et l'aptitude des armés. II n'y aura sur les champs de bataille que de glorieux manœuvres que l'Homme aura mis à ses guerres. L'histoire alors, réduite aux événements militaires, quelque grands et imposants qu'ils soient, serait exposée à une sorte d'a- moindrissement, si l'auteur n'avait soin de lui conserver sa dignité. Pour cela, il lui faudra sortir du cercle tracé avec l'épée, cercle im- mense et pourtant restreint dans lequel ont trop tourné les histo- riens qui ont suivi de près l'Empire. Pour remplir toute sa mission, il devra résister aux fascinations fatales du génie militaire , et. reje- ter bien loin les entraves subies alors. Il y aura nécessité de dire ce qui a manqué à cette époque, et de montrer douloureusement ses misères à côté de ses grandeurs. Nous n'en sommes plus à ces récils où l'on brûlait autant d'encens qu'il s'était brûlé de poudre sur les champs de bataille. Ceci n'est point un sujet à prendre des mains du héros qui l'a tracé ; tout en lui conservant l'éclat et la grandeur, il faut aussi l'aller chercher dans les parties obscures et déprimées de cette époque; il faut l'agrandir de tout ce que le despotisme lui a ravi ; il faut enfin relever à la fois la nation et l'histoire de l'asser- vissement de la gloire. Mais l'auteur a bien compris , sans aucun doute , toutes les exi- gences de ce sujet qu'il faut se garder de prendre tel qu'il se pré- sente à l'œil ébloui. Sa sagacité ordinaire l'embrassera tout entier. En attendant, il s'enivre du succès de nos armes ; il se livre à son goût pour les longues lignes de soldats; il se complaît aux marches et contre-marches savantes ; il passe et repasse le Rhin aussi souvent pour le moins que Moreau ; il franchit le Saint-Bernard avec des peines inouies ; il dit le siège de Gênes aussi bien que s'il y avait eu la jambe cassée ; il triomphe à Marengo, s'attarde un peu à faire manœuvrer ses bataillons et force le lecteur à marquer le pas pen- dant ses descriptions exactes, lucides, simples et brillantes en même