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LA VISION CROQUIS GENEVOIS. Malgré les réprimandes faites à ma jeunesse et les conseils donnés à mon âge mûr, je n'ai pu renoncer à la tant douce ha- bitude de lire dans mon lit avant de m'endormir; je trouve que c'est arriver au sommeil par un sentier plein de charmes; le calme qui m'entoure, la chaleur qui me pénètre, la position de mon corps, tout contribue à faire de ce moment un des plus agréables de la journée. Je lis donc, chaque soir, sans que jamais aucun accident soit venu réaliser les menaces d'incendies qui me furent adressées tant de fois. Mais que Iis-je ? ma fois je le dis à ma honte ; la littérature du jour est trop sombre ou trop flamboyante pour être admirée au lit ; le moyen de parcourir entre onze heures et minuit des livres à titres tels que les Deux Cadavres, le Crapaud, le Bourreau de Rome, la Cacaracouthka, etc., où les coups de poignard et de pistolet pleuvent comme la grêle, où l'on ne voit que faces patibulaires et féroces ! Non tout cela ne se lit pas et ne peut se lire la tête sur l'o- reiller. D'un autre côté, MM. Ponson du Tcrrail, Paul Féval et consorts sont des écrivains célèbres sans doute, mais je ne sais, leur prose est si pétillante , sautillante, éblouissante , il y a tant de mouvements convulsifs dans leur imagination, tant de délire dans leur cerveau, tant de saccades dans leur style , que je con- sidère la lecture de leurs œuvres comme incompatible avec l'idée de mon repos et l'approche de mon sommeil ; elle ferait sur mes nerfs l'effet d'une douzaine de tasses de thé vert bues coup sur coup, et je ne suis guère tenté de payer de tressaillements pé-