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392 VOYAGE DE LYON A YENNE.
« Vous me révélez les motifs d'une grande page historique
« où je n'eusse créé qu'un médaillon vulgaire. — Acceptez
« mes remerciments et ce petit souvenir. » Le souvenir est
petit, en effet : une pirogue creusée dans un noyau de datte...
Ne rions pas de celte innocente manie, et laissons au digne
amateur ses chères illusions. Il puise un vrai plaisir dans un
ouvrage, puéril sans doute, mais grandi quelquefois par l'in-
tention, et exigeant toujours de la patience et de l'adresse.
Tant d'oisifs ne trouvent pas en eux-mêmes assez de res-
sources pour chasser l'ennui ! Il vaut mieux tailler des
morceaux de bois que de bâiller au café, de perdre son ar-
gent au jeu, ou de noyer sa raison au fond d'un bok !
À Cordon, le bonhomme nous quitte avec regret. Le pont
suspendu de Cordon est original. La pile do milieu ressemble
à un petit donjon flanqué de quatre tourelles hexagonales Ã
créneaux et à mâchicoulis. Un peu plus loin, à notre gauche,
s'élève une ruine imposante d'aspeci et riche de tons, qui
figurerait à , ravir dans un cadre dore, sur un ciel quel-
conque.
On aborde a Saint-Genis, ou du moins au ponton le plus
rapproché. Trois nourrices s'embarquent. Toutes portent au
cou de longues chaînes d'or avec des plaques carrées larges
de trois doigis : luxe singulier qui s'allie très-mal à un cos-
tume assez déguenillé. L'or conserve sa valeur, répondent
ces gens-là . Bon, mais les intérêts du capital qu'il repré-
sente ? Il paraît que ceci n'entre pas en ligne de compte.
Nous doublons un petit promontoire et le décor change Ã
vue. D'un côté, un rempart de rocher à deux étages, séparés
par une étroite berme de verdure , couronne des pentes
raides et pierreuses, a peine garnies de maigres broussailles
et de buis étiolés. Sous les rayons obliques du soleil, les
larges surfaces calcaires se colorent de reflets ardents, pour-
pres, orangés, gris-perle; les grandes ombres bleues des ren-