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174 LA COUSINE BRIDGET. salle d'études, —et il en fut toujours ainsi depuis ma première enfance. « La gouvernante défendait à Agatha de jouer avec moi : j'avais trop mauvais caractère, disait-on; et un soir que j'avais été méchante, mais que le sentiment que j'en éprouvais me fai- sait prendre, dans mon petit lit, de bonnes résolutions de deve- nir meilleure, j'entendis la gouvernante dire à la domestique sous ses ordres : « — Cette enfant a un mauvais cœur, et elle ne se corrigera jamais. Il n'y a rien à faire d'elle. « De ce moment le sceau fut mis sur ma destinée. Je ne fis plus rien pour me rendre bonne. Ordinairement je me retirais seule dans quelque coin, refusant de paraître en présence des étrangers et indifférente à toute chose, sauf au charme de la lecture. Je n'étais presque jamais sans un livre à la main. « L'institutrice, chargée par mon père de notre éducation, me traitait à l'exemple de tout le monde. Pourtant elle ne niait point que j'eusse du talent. Quoiqu'elle adorât la douce, la tendre, l'aimable Agatha, encore ne pouvait-elle se défendre d'être fière de moi, et elle se trouvait blessée de ce que mon père ne per- mettait pas de montrer mes dessins, d'une habileté réelle. « Le temps s'écoula. Nous devînmes de grandes personnes. L'institutrice fut renvoyée, et, à cette époque, l'horizon de ma vie parut s'éclaifcir, car je quittai la maison paternelle pour aller demeurer auprès d'une sœur de mon père, qui était veuve et, chose étrange, m'avait prise en affection. « Avec elle j'étais heureuse, comparativement. Elle me fit juger plus favorablement du monde et de moi-même ; elle me présenta à ses amis, me fit chanter devant eux ; et enfin, grâces à ses soins, je fus remarquée. « Mais c'est ici que se place l'événement duquel date la ruine de mon existence. « C'est étrange, n'est-ce pas, d'entendre ce mot tomber de lèvres flétries comme les miennes, mais j'aimai, Minna ! —j'ai- mai avec toute l'ardeur d'un cœur qui jusques-là n'avait jamais aimé personne, que personne n'avait jamais aimé.