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                      SOUVENIRS — 1813-1814-1815                                    407

 scène escaladée, des membres infirmes se redresser, les chapeaux
 en l'air s'agiter, tournoyer, tout l'ancien régime se mettre sur la
 pointe des pieds, répéter en chœur, s'égosiller •
                          Le roi passait, tambour battait,

 et répandre de pieuses larmes ; car il y avait de la piété dans ses
 larmes. Pour ne pas refroidir ce tableau, nous baisserons la toile.
    Dans l'attente des décisions du Sénat, nous n'oubliâmes pas, le
 troisième jour, d'aller prendre congé de M. de Metternich et de nous
 représenter aux diverses ambassades. Nous fûmes saluer lord Cas-
 telreagh, le sombre et antifrançais de Stein, personnifiant la
 Prusse, puis le Suédois de Wetterstedt.
    Lord Castelreagh était radieux ; il fit sur moi l'effet du maître
 de la baraque à Polichinelle, faisant mouvoir tous les fils des
 marionnettes.
    Son long nez, son visage osseux, sa haute stature, tout prêtait à
l'illusion et l'assimilait à Polichinelle lui-même, s'ébattant en cris
et en ris d'allégresse. Le triomphe évident de ces chancelleries
étrangères n'indiquait-il pas atout Français sans prévention, le
déclin du rang et des honneurs de la patrie?
    Que ce soit une chimère que ce rang et ces honneurs, c'est pos-
sible, l'Evangile à la main. Je relate simplement des faits et des
impressions. Elles furent bien pénibles, ces impressions, pendant
le dernier dîner que nous fîmes avec tous ces libérateurs, nos
oppresseurs, chez Mme de Nogent.
   Ceux que je viens de citer s'y trouvèrent. Napoléon n'y fut pas
épargné, car pluson acquérait la certitude de son isolement à Fon-
tainebleau, et de la défection de Marmont, plus ses ennemis deve-
naient arrogants. On donnait le dernier coup de pied au lion
expirant. On se passait complaisamment une gravure anglaise
représentant sa figure olivâtre toute composée de têtes de morts et
de bêtes immondesi.
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    Après la chute de Napoléon II'I, par une coïncidence assez singulière, car il n'est
pas supposable que les graveurs inhabiles de ces planches aient eu connaissance de la
rare gravure anglaise, dont il est ici parlé, on vendit, dans les rues de Paris et de
Lyon, des gravures représentant la tète de l'empereur vaincu et prisonnier, formées
de femmes nues dans des postures étranges et de bêles immondes. Par une lâcheté
de plus, ces ignobles images n'étaient pas signées.