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MAINE DE BIRAN 135 fallu d'adresse spéculative, d'inventive subtilité de tour de main pour souder ainsi ensemble un automate et un homme. Je suis très loin de vouloir décrier l'usage que fait le philosophe des données de l'organisme dans l'explication psychologique de l'homme. J'ap - plaudis même à cette manière de commencer la science par l'examen de ce qui se produit dans la sphère primitive de l'ani- malité. La science doit évidemment marcher du même pas que la nature. Puisque l'homme débute par être enfant, c'est l'enfant qu'il faut considérer avant l'homme, et puisque l'enfant débute par un ordre de faits où ne paraît rouler encore que le torrent de fatalisme de l'animalité, c'est cette période primitive dont l'étude devientnecessairement préalable: toute science vraie de l'homme est à ce prix. Il est clair, par exemple, que les instincts, ce phénomène si profond de notre nature et si ancré dans l'organisme, se montrent longtemps avant que l'on ait constaté la présence des actes réflé- chis de la volonté et de l'intelligence, et dès lors quelle fausse manière de procéder ne serait-ce pas de se placer pour étudier les instincts au moment où le concours des autres faits psychologiques risquerait d'apporter de la confusion, de susciter des méprises. Mais, si je trouve légitime que la science s'enquière de la sorte, dans une certaine mesure, des antériorités de l'organisme et du corps, je ne sanctionne pas de même de mon approbation cette psychologie retournée en physique romanesque qui va peser le moindre tressaillement vital dans nos tissus pour lui prédire toute sa destinée, pour le faire passer, par un protêisme plein d'artifice, dans toutes sortes de conjecturales métamorphoses, pour le charger en route d'appendices continuellement nouveaux, pour nous parler enfin de sensations non senties, d'affections qui seraient étrangères au moi, de conscience qui devancerait les perceptions, d'effort non intentionné, qui produirait un pâle demi-jour de l'intelligence, de moi qui s'éveillerait dans la croyance avant tout essor d'atten- tion, etc... Une pareille descente dans les souterrains de l'anima- lité conduit à décrire fabuleusement le royaume des ombres, et ce ne sont point là les domaines de la philosophie. Maine de Biran, quoique dans tant de menu détail il ait donné fréquemment lieu d'admirer une pointe d'esprit de psychologue et de métaphysicien de premier ordre, nous fait l'effet de n'y avoir inventé qu'une