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152 MELIOGRAPHIE. ses modèles grecs ! Il ne faut pas chercher ailleurs que dans cette tension perpétuelle le secret de l'involontaire froideur avec laquelle les esprits les plus classiques assistent de nos jours aux représentations de ces chefs-d'œuvre, qui, malgré tout, restent admirables comme le siècle qui les produisit, et dignes de profondes éludes. Passée depuis le XV1IIJ siècle par tant de bouleversements, la société française s'est plusieurs fois renouvelée ; son sens littéraire s'est modifié parallèlement a son sens politique. Qu'on ne s'y trompe pas, c'est la fibre démocratique qui souffre a ces exhumations des monuments littéraires d'un autre âge. Toutes les représentations théâtrales demandent delà foi pour exciter de l'intérêt: de nos jours on ne croit plus à l'h ïoïsme soutenu des plus parfaits héros ; on trouve très-fades les amours de Titus et de Bérénice, et les mal- heurs des rois ne coûtent une larme à personne. Rien dans nos mœurs ne nous dispose à goûter autrement que par la lecture la langue forte et fière de Corneille, la langue pure et tendre do Racine; leur splendeur est trop uniformément noble, ei notre laissez-aller nous la fait trouver guindée. Ainsi donc le public français est placé entre les drames grossiers du boulevard et les classiques productions du passé, car il ne faut parler que pour mémoire du mouve- ment romantique, fort apaisé a l'heure qu'il est et dont au- cune œuvre n'est restée au répertoire. Cette situation anormale devait occuper tous ceux qui ont pu admirer dans une langue étrangère l'immortel génie qui a su unir dans ses œuvres le sublime de la pensée au réa- lisme le plus palpitant. Je veux parler de Shakespeare. Ignorant les règles ou s'en jouant, Shakespeare s'en est fait de grandioses dont il ne s'est jamais départi. Hiilosophe, il a été dans ses drames justicier sévère et sans appel; poète, il a doué chacune de ses créations d'un souffle ins-