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                        HISTOIRE D'UN CRIME                      325

 dois avouer qu'elle était un peu comme ces sous de Louis XVI,
 qui sont de bon alliage, mais un peu rognés du côté des lettres. La
 bibliothèque se composait du Combat spirituel, du Pensez-y bien, des
 Paraboles du Père Bonaventure Giraudeau et des Délassements du Sage,
où l'on trouvait beaucoup de récits dans le goût des vents de Son
Éminence. Le dimanche, il y avait toujours une grande discussion.
Il s'agissait de savoir quelle était la paroisse où le pain bénit était
le meilleur. Cependant ce qui me décida à rompre le projet de
mariage, ce ne fut rien de cela. Voici ce qu'il en fut. La jeune fille
m'avait toujours semblé très poétique. Elle avait une taille élégante,
et, les dimanches d'été, vêtue d'une robe d'organdi blanc, qui fai-
sait ressortir son teint mat et ses cheveux noirs, elle me représen-
tait Mignon aspirant au ciel, le dernier tableau que venait de faire
Ary Scheffer. Elle tomba malade, ce qui me chagrina beaucoup.
Enfin, elle alla mieux, à ma grande joie. J'assistais un jour à son
déjeuner, pendant sa convalescence. On sait que les convalescents
ont gros appétit. Je la vis manger sept côtelettes de mouton et
vingt-deux abricots. Cette vue me la dépoétisa à tel point que tout
mon idéal disparut soudain. Ce fut un grand crève-cœur, car je
l'aimais beaucoup. C'étaient mes illusions roses qui s'envolaient;
l'aube de ma vie absorbée dans ce grand jour odieux et cruel qui
ne laisse plus de place au mystère. Mais le moyen d'aimer une
jeune fille qui mange sept côtelettes et vingt-deux abricots à son
déjeuner! Si encore il n'y avait eu que les abricots!
   Après cela, peut-être bien qu'on me l'aurait refusée.

                                 *
                                * *

   Sur ces entrefaites, mon oncle Cadet m'appela un jour dans son
comptoir grillé.
   — Lustucru, me dit-il (c'était le petit nom qu'on me donnait
dans la famille), Lustucru, je veux t'établir et te laisser mon com-
merce. Tu n'as pas beaucoup de fonds, mais je te ferai une grosse
commandite/Avec cela tu peux te marier grassement; seulement,
je veux pour toi quelque chose de mieux que nos jeunes filles lyon-