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LA VIE ET LES OPINIONS DE CHRISTOPHLE DE GAMON 12$ « Le bravache soldat quitterait ses armes; le bien-dizant avocat son Bartole; le médecin ses dieux, Hippocrate, Galien, Avicène; et Panatomiste sa charogne. Voila pourquoi les philosophes qui nous ont précédez, comme dit Alphidius, ont caché leur principale inten- tion sous divers énigmes et innombrables équivoques, afin que la publication de cette science occulte ne ruinast le monde... » Et Linthaut développe pendant deux ou trois pages cette thèse avec une profonde conviction. «Car, » dit-il, « si une âme néronne possédoit ce solide et sans fin augmentable nerf de la guerre, quelles horreurs, quelles cruautez, quelles furies ne pousseroit-elle dehors? Quelle seroitla digue élevée et si ferme qui peustarresterla violente course de ce torrent?... » Tout le monde deviendrait fou. « L'épileptique mouvement des danseurs ne saiziroit-il pas le cerveau et tous les membres de cet heureux possesseur qui seroit enclin à cette folie? Le paillard se contenteroit-il d'une courtizane, le paizan de son bureau, le marchand de sa sarge, le gentilhomme de son satin? Ne voudroyent-ils pas tous briller de clinquants à l'Espa- gnole, et se porter dans l'or, comme dit notre Poëte?... Bref, je pense que les vallées voudroyent estre montagnes, et celles-ci nuées. Les ruisseaux une grande rivière, et celle-cy la pleine mer. Et ainsy verroit-on une confuzion universelle et un chaos plus véritable que celui d'Ovide. » Un peu plus loin, le commentateur fait observer que l'or n'est pas si caché qu'on le croit. L'homme, en le cherchant ailleurs, « ne se prend garde qu'il ressemble celuy qui, cherchant son asne, estoit monté dessus. Qui pis 'est, il tient à toute heure la minière d'or dans sa main,et il ne la cognoistpoint; et, quand il la cognoistroit, il ne l'en sauroit tirer sans la permission de la nature et l'aide de l'art. » Les découvertes de la chimie moderne ont classé l'or parmi les • corps simples dont le nombre, d'ailleurs, paraît loin d'être fixé. Du temps de Gamon, on croyait qu'il était le terme de transmutations graduelles qui s'élaboraient au sein de la terre, et qu'il fallait huit ou dix siècles pour que les métaux impurs arrivassent à la perfection N° ;6. - Août 18S;. 9