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LA VIE ET LES OPINIONS DE CHRISTOPHLE DE GAMON 19 nécessaire de parler en vers, surtout à une époque dont le génie répugne à ce genre de langage. La preuve en est dans cette foule de prosateurs, de peintres et de musiciens, qui sont là pour témoigner, à défaut d'œuvres rimées, que l'amour du beau n'est pas encore éteint dans les âmes. Ainsi, l'intelligence humaine, en progressant, subit, dans ses manifestations extérieures, une transformation semblable à celle que subit l'individu en avançant en âge. Le jeune homme sent et chante, l'homme raisonne et parle. Mais, si nous ne faisons plus de vers, ce n'est pas une raison pour être injustes à l'égard de ceux de nos devanciers dout les labeurs et le génie ont donné à la langue française ce merveilleux degré de clarté et de précision qui lui a valu de devenir la langue de la diplomatie et de la haute société en Europe, et qui lui vaudra peut-être un jour de devenir la langue universelle. Or, si jamais on a été injuste, c'est bien à l'égard des poètes du XVe et du xvie siècle, à qui revient incontestablement la plus belle part d'honneur dans la création de la langue française, et qu'on nous a habitués, sur la foi de Boileau et de La Harpe, à regarder comme de barbares rimailleurs sans aucun talent et dont les œuvres ne doivent jamais sortir de l'oubli. Boileau, ce singulier législateur du Parnasse, n'a-t-il pas osé écrire ? Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, Fit sentir à l'oreille une juste cadence... Ceci prouve simplement que Boileau avait plus de grammaire que de goût. La langue française doit beaucoup plus à Pierre Ron- sard qu'à Malherbe. Il y a de l'un à l'autre la différence d'un initia- teur à un imitateur, d'un poète à un versificateur, de Corneille, par exemple, à Delille. La Harpe a encore été plus loin que Boileau, en disant qu'il était impossible de lire et de comprendre quatre vers de suite de Ron- sard. Une pareille assertion ferait croire que La Harpe n'a jamais rien lu de Ronsard, Sans doute, celui-ci n'est pas sans défaut, et sa